Ta porte. Il fait chaud. Je toque. Tu ouvres dans une petite robe à fleurs et m’embrasse sur le pas de la porte et me tire par la taille pour me faire rentrer. Tu as conservé l’appartement dans la pénombre à cause du soleil qui tape en cette saison, tu as les pieds nus. On s’installe sur le canapé fatigué en face de la télévision. A travers les persiennes, on aperçoit les enfants du voisins qui rient et chahutent, tandis que le père les arrose avec un tuyau d’eau. Des semaines que j’attends d’être seul avec toi, mes scénarios bien que multiples se terminent bien souvent de la même façon. Mais en face de toi cet après-midi, je perds tout mes repères. Tu as préparé du thé glaçé et un film d’horreur vient de commencer sur l’écran qui nous regarde. Les dialogues sont stupides, le scénario bâclé, l’intrigue est absente. Du coup je passe le plus clair de mon temps à admirer tes longues jambes nues et bronzées et tes petits pieds posés sur la table, pile dans mon champ de vision. C’est nettement plus excitant. A quelques minutes de la fin bien attendue de l’horreur que nous regardions, j’ose faire un geste de la main vers  toi. Un regard plus tard, tu as compris. Je t’embrasse, là, maintenant, et tes lèvres m’accueillent ouvertement. Il n’y a aucun autre son dans cette scène que celui de nos peaux qui s’entrelacent. Il n’y en a toujours pas plus quand je glisse une main conquérante le long de ta cuisse.

Stop. Pause. C’est à ce moment-là que je me réveille.

Les semaines ont passées depuis que je t’ai aperçu, et je rêve de toi presque chaque nuit. La netteté de ces songes est époustouflante : de petits détails, de sons, d’odeur, de textures. Mes réveils autrefois suintant de panique, sont aujourd’hui teintés d’un tout autre affolement. Certaines fois, la culpabilité me laisse un goût amer, je ne devrais pas me laisser distraire. A d’autres moments, je veux me noyer au milieu des envies. Ces dernières ne m'ont plus rendu visite depuis la mort de Virginia.

L’angoisse de sa disparition me tiraille encore l’intérieur. Tout comme la vision de son corps étrangement asséché qui ne me quittera plus. Deux années se sont achevées, mais je ne me résous pas à retirer l’alliance de mon doigt. Comment tourner la page de quelque chose qui s’est évaporé ? J’ai lu une phrase quelque part, criante de vérité. « Certaines choses, une fois que vous les avez aimés deviennent les vôtres pour toujours. Et si vous essayez de vous en détacher … elles ne partent que pour mieux revenir vers vous. Elles deviennent une partie de vous-même … ou elles vous détruisent. » Quelque chose comme ça, à quelque mots près. Morte, l'immense vide révélé par son absence n'a fait que découvrir d'autre inexistence. Comme une réaction en chaîne. Pas de frères et soeurs avec qui se consoler. Pas d'enfants vers qui se concentrer. Finalement, qu'une carrière dans laquelle se plonger. Ceux que j’aime sont en danger aujourd’hui. Les meurtres se multiplient, le mystère gronde et il en est de ma responsabilité de protéger ma ville.  Je le dois au nom de mon métier, je le dois au nom des victimes. Mais surtout je le dois pour moi-même, car ce soir-là, autant dire que je suis mort en même temps qu'elle.