Anyone. Anytime. Anyplace.
Mes rires s'élèvent doucement, je m'élance dans le jardin de la demeure familiale à la poursuite dans mon chien. Je m'amuse, m'épuise, me dégourdie les jambes en prenant grand soin de ne pas trébucher sur ma longue robe. Je ne me comporte pas comme je me dois de le faire, mais peu m'importe. Je profite de cet instant de répit pour être enfin moi-même, la personne qui ne respecte pas les règles de bienséances.
« Psyche, mon enfant. Ne courez pas ! Comportez-vous correctement. » Une voix féminine résonne et m'arrête dans mon élan. Je soupire, maudis ma condition et l'image de fille parfaite que je me dois de revêtir à longueur de journée. Cette incapacité à être fidèle à moi-même m'insupporte de plus en plus. Sourire bêtement, se montrer polie, respecter les règles, rester calme et surtout ne pas s'amuser. Le comportement de toutes filles parfaites et de bonnes familles.
Contre mon grès, je me résigne et reprends un comportement digne de mon rang. Mon pas se fait plus lent, plus prudent, plus gracieux. Je rejoints, à contre coeur, la porte d'entrée et m'installe sur le banc posé aux côtés de cette dernière. Silencieuse et boudeuse sur les bords, je fixe l'horizon. L'étendu bleue reflète les doux rayons du soleil qui semble être à son zénith.
« N'est-ce pas mieux ainsi, mon enfant ? » Pour la seconde voix, cette voix féminine m'extirpe de mes pensées, brisant les rêves qui y fleurissent. Un faible sourire se dessine sur mon visage, je tourne lentement ma tête vers la source d'autorité qui n'a de cesse de briser mes élans de bonheur.
« Je ne peux que vous approuvez, mère. » Non, c'est faux, totalement faux. Je mens aussi bien qu'à chaque fois que je dois faire face à ma mère. Une habitude que j'ai pris malgré moi, tout comme celle qui masque ma véritable personnalité. Les convenances, la politesse et les bonnes manières semble plus important qu'être soit même dans ce monde qui est mien et je ne peux que le regretter. Je rêve d'aventure et d'une vie où la simplicité serait reine. [...]
****
Les premiers rayons de soleil traversent les rideaux de ma chambre et titillent mes paupières. Un couinement adorable m'échappe, je me relève et m'étire longuement avant d'ouvrir les yeux avec difficulté. Un nouveau jour débute, un nouveau jour de mensonge durant lequel je me dois de suivre les règles que l'on m'impose. Je soupire, passe une main dans la chevelure dorée et je m'élance hors de mon lit. Je fais un brin de toilette, me vêtis d'une robe des plus ordinaires et termine ma préparation devant ma coiffeuse.
Je me coiffe longuement, laissant doucement tomber mes cheveux légèrement ondulés dans mon dos. Je termine avec une pointe de maquillage à peine visible. Un paisible sourire se dessine sur mon visage tandis que j'entre-vois une journée des plus banales à l'horizon.
Une fois prête et sans plus attendre, je m'élance joyeusement et sereinement dans les couloirs de l'ancienne demeure familiale. J'entre en silence, m'installe à table où mon père est déjà installé.
« Bonjour, père. » Je n'espère aucune réponse, à quoi bon. Rares sont les moments où j'ai pu entendre la voix glaciale et rugueuse de mon père. D'ordinaire silencieux, ses moments d'attentions à mon égard ne pressage rien de bon. Sur ces mots, ma mère ne tarde pas à arriver et s'installer aux côtés de mon père et de murmurer quelques mots à ce dernier.
« Bonjour, mère. » Aucune réponse ne me parvient, elle se contente d'esquisser un doux et chaleureux sourire à mon égard. Je commence à prendre mon petit-déjeuner, un en-cas qui se résume à un morceau de pain et du thé.
« Un ami vient nous rendre visite aujourd'hui, je vous demande d'être présentable et aux plus grand soin de son fils, Pysche. » Je me fige à ses mots. Une fois encore, ma théorie est prouvée et l'attention de mon père annonce une mauvaise nouvelle. Cette situation sent le mariage arrangé et cette idée me déplaît. Mon père s'éclipse aussitôt, me laissant seul en compagnie de ma mère. Je me tourne vivement pour lui faire face tandis qu'elle affiche un regard désolé.
« Je suis désolée, mon enfant. Je me doute que vous savez de quoi il s'agit, mais votre père a été clair sur sa décision. » Je reste calme, je tente de retenir mon envie de fuir face au destin que l'on m'a écrit. Je soupire faiblement, détourne le regard.
« Mais, mère ! Et si je ne l'aime pas? » Ma voix se fait faible avec une pointe de tristesse. Je ne veux pas vivre une vie que l'on m'impose et encore moins un mariage sans amour. Je regarde ma mère se lever dans un geste vif avant de sortir de la pièce.
« L'amour est un luxe, mon enfant. » Mon coeur se serre, je m'immobilise et maudis ma condition.
La journée s'enchaîne et je tente d'y faire face avec dignité. J'affiche un sourire des plus faux, je garde ma tristesse et mon amertume au tréfonds de mon être. Je tente sans relâche de me montrer élégante, polie et comme ayant un comportement irréprochable. L'après-midi se termine et j'espère enfin pouvoir redevenir la personne que je suis réellement, mais également celle que j'aspire à être. Hélas, mes rêves se retrouvent brisés une fois encore lorsque le fils de l'ami de mon père me propose de m'accompagner faire à tour afin d'apprendre à me connaître davantage. A contre-coeur, j'accepte et m'élance à ses côtés dans les chemins du village tandis que la nuit tombe doucement.
« Dîtes-moi, Mademoiselle Kostas.... Comment voyez-vous la vie dans le futur ? » Je peux le sentir quelque peu hésitant si ce n'est gêné. J'esquisse un faible sourire. Je vois mon futur comme un véritable enfer, une vie dictée par le devoir et non pas par mon coeur.
« Je ne sais que vous répondre. Sans doute marié avec des enfants. » Une vérité masquée. Après tout, c'est là le destin que l'on semble m'imposer. Ce que j'omets, en revanche c'est que le bonheur ne sera pas au rendez-vous loin de là. Il acquiesça simplement, nous plongeant dans le plus gênant des silences. Je marche tranquillement, tentant de me concentrer sur le chemin qui devient de plus en plus sombre. Soudain, une vive douleur me prend au niveau du cou. Je sens une pression, incapable de faire de moindre mouvement. Mon énergie semble aspirer en dehors de mon être tandis que je sombre dans les abîmes de mon inconscient.
Je me réveille avec la plus grande difficulté. Ma gorge me brûle, mes dents me font souffrir. J'ai l'impression d'avoir faim, une faim phénoménal. Je me relève, engourdie et désorientée. Je ne pense plus à celui qui est censé être à mes côtés et je regagne ma demeure. Ma mère se jette à mon cou, inquiète. Mon père me détaille comme pour me reprocher quelque chose tandis que je me rends compte que mes affaires sont remplies de sang. Sans plus attendre, ma mère me pousse à me laver. Elle retire la moindre trace de sang et me vêtit de façon des plus simples. Je rejoints finalement mes parents dans le salon afin que je puisse répondre à leur question sur les événements de cette nuit. Je me souviens d'entamer tranquillement la conversation avec eux lorsque la brûlure de ma gorge se fait plus vive. Mon esprit se brouille, je me sens paralysée et c'est le trou noir.
« Qu'aies-je fait ?! » Je prononce ses mots tremblantes en reprenant mes esprits. Je porte une main à mes lèvres ensanglantées tout en restant figés dans la scène macabre qui se trouve devant moi. Du sang, les corps de mes parents gisant sur le sol. J'éclate en sanglot et me laisse lourdement tomber sur le sol, me rendant peu à peu compte de l’atrocité de mon acte.
****
Haletante, je frotte activement mes mains sous l'eau fraîche d'un ruisseau des pleines françaises. Je tente sans relâche d'effacer les traces d'une énième victime de mes pulsions sanguinaires. Une fois encore, je regrette, me déteste, me maudis. Vampire, être éternel, solitaire et des plus horribles. Je sens un flot de larmes couler sur mon visage pâle et je continue de frotter mes mains, priant pour que personne n'apparaisse à cet instant précis. Je reste ainsi une demi-heure, sans doute plus avant de m'installer contre l'arbre le plus proche. Je rapproche mes genoux de ma poitrine et resserre mon étreinte autour de ces derniers. Je tente de me calmer, de faire cesser ce flot de larmes qui colle malgré moi.
Je ne supporte plus cette condition. Même après plus d'un siècle d'existence, ses pulsions ne se sont pas apaisées et mon contrôle est toujours aussi faible. Je n'ai pas la moindre force face aux pulsions qui me prennent sans cesse lorsque l'odeur de ce doux nectar me chatouille les narines. Je secoue la tête, vidant mon esprit de cette image, cette sensation du sang collant lentement dans ma gorge. Je déteste l'être que je suis devenue et faire face à toutes mes atrocités se révèlent être de plus en plus difficile pour moi. La douleur que j'engendre, la tristesse que je laisse derrière moi. Ma torture mentale semble être un juste retour des choses.
Je plonge mon regard vide et dénoué d'émotion sur le ciel étoilée. La nuit ne tarderait pas à laisser place aux rayons du soleil. Une douce chaleur à laquelle je ne peux plus goûter à présent. Je me lève lourdement, je marche en titubant au centre de la clairière la plus proche. L'odeur des fleurs m'enivre. Je me laisse tomber au centre de ce lieu magnifique et je ferme les yeux. Je ne cherche pas le sommeil, juste une lueur d'espoir ou le début d'une rédemption. Je souhaite goûter à la chaleur du soleil une toute dernière fois avant de quitter ce monde dans lequel je semble laisser qu'une longue traînée de victimes et de sang. Une vie que je n'ai jamais voulu avoir, une vie que je regrette, une vie à laquelle je veux mettre fin. Il n'a pas fallu bien longtemps avant que chaque membre de mon corps commence à me brûler. La douleur se lit sur mon visage et pourtant, je reste immobile. Une façon longue et douloureuse de mettre fin à ses jours, mais j'ai l'impression que mon mal est synonyme à une douce mélodie comparée à tout le malheur que j'ai engendré.
Hélas, quelqu'un semble aucunement d'accord avec ma décision. Je sens que l'on m'arrache à ma douleur, à la fin que j'ai décidée pour me mettre dans un coin plus sombre. Rapidement, ma peau cicatrice, masquant les brûlures qui si trouvaient peu de temps auparavant.
« Vous êtes folle ! Vous auriez pu cramer comme une bûche dans un feu de camp. » Une voix masculine, dure, mais aussi étrangement inquiète et protectrice. J'ouvre les yeux, ne portant aucune attention au décors qui se trouve autour de moi pour plonger mes iris dans ceux de cet inconnu.
« C'était le but ! » Ma voix s'est fait dure et froide. Je ne comprends pas pourquoi une personne que je ne connais pas souhaite ainsi m'extirper au destin que je me suis choisis. Je tente de me précipiter à l'extérieur de la cabane dans lequel j'ai été emmenée de force, mais je suis paralysée par l'étreinte de cet inconnu.
« Je ne sais pas pourquoi vous avez choisi de faire ça, mais le suicide n'est pas la solution. » Elle l'est, pour moi. Je n'ai pas trouvé d'autres solutions pour résoudre mon problème d'incapacité à contrôler cette soif et ses instincts de tueurs.
« Je ne veux plus faire souffrir ! » Tremblante, je me sens incapable de retenir mes larmes. Je me laisse tomber lourdement sur le sol, faible tandis que "mon sauveur" resserre doucement son étreinte autour de moi.
« Je vais vous aider à faire en sorte que cela ne soit plus le cas. » Je ne comprends pas. Pourquoi m'aider? Pourquoi vouloir ainsi changer mon destin? Je ne sais pas, mes sanglots m'empêchent de lui poser la question et je décide de laisser cela à plus tard. Je me laisse aller dans cette étreinte peu convenable, mais étrangement réconfortante.
****
Tapis dans la pénombre de ce nouvel appartement, je peux sentir ma gorge me brûler et la soif monter en moi. Une sensation que je déteste au plus haut point et qui ne pressage rien de bon. Généralement, je termine ensanglantée avec une nouvelle victime de mon impulsivité monstrueuse. Même si cet événement se fait plus rare depuis ma rencontre avec Ezekiel, il n'est pas capable d'être sans cesse à mes côtés pour me surveiller et apaiser la bête assoiffée de sang qui sommeil en moi. Il ne sortait pas toujours indemne de nos affrontements et je déteste l'idée de le faire souffrir autant que celle de faire du mal à un simple mortel.
Environ quatre siècles se sont écoulés depuis notre fameuse rencontre et jamais je n'ai réussi à comprendre la raison qui l'a poussé à me sauver dans cette clairière ensoleillée. La raison qui le pousse à être ainsi à mes côtés m'échappe, mais je ne peux imaginer un monde où il en serait autrement. J'ai craqué, je le sens. Je sais que mon coeur ne pourrait battre que pour lui, mais comme ma mère me l'avait autrefois dit, l'amour est un luxe et le monstre que je suis ne mérite pas un tel bonheur. Je garde mes sentiments pour mes rêves et mes espoirs d'une vie meilleure. Je tente de faire au mieux pour le rendre fière de moi. Hélas, ma soif est tellement forte que ma détermination faiblis bien trop facilement. Je ne supporte plus ses pulsions qui font de moi une personne avide davantage de sang, mais aussi une personne à tendance suicidaire. J'ai tenter encore et encore de me laisser brûler, décrépir, mais à chaque fois, Zeke m'arrêtait.
Je reste silencieuse, figée lorsque j'entends la porte se refermer. Je peux sentir la présence d'Ezekiel qui vient de rentrer. Ma soif s'intensifie, mes yeux deviennent rouge et fidèle à mon côté sanguinaire que je déteste. Je me mords la lèvre inférieure, faisant légèrement saigner cette dernière sous la pression de mes canines.
« Je suis vraiment désolé. J'ai été retenu. » Une voix douce et réconfortante de mon ami résonne dans l'appartement. Je le regarde s'avancer vers moi d'un pas rapide avant de me donner une poche de sang. Un clignement de paupière a suffit pour que je me jette sur la poche de sang comme un prédateur sur sa proie. Je me fige soudainement lorsque Ezekiel pose sa main sur la mienne pour me faire un signe de ralentir. Malgré moi, je lui lance un regard digne d'une folle. Il reste de marbre face à mon comportement. Je tente de me calmer et termine plus lentement ma poche de sang avec un regard désolé.
« Je suis désolée... » Je m'excuse dans un faible murmure à la hauteur de mon contrôle. Un faible sourire apparaît sur son visage avant qu'il ne s'éclipse pour ranger les poches de sang dans le réfrigérateur.
La journée continue avec les enseignements d'Ezekiel sur le contrôle de ma soif et de mes capacités de vampire. Deux choses dont le contrôle m'échappe totalement. Une fois encore, je me demande pourquoi Zeke fait preuve d'une telle détermination à mon égard. Je n'ose pas lui poser la question, me contentant de suivre ses instructions et ce jusqu'à ce que le devoir l'appel. J'esquisse un faible sourire, le salue et le regarde sortir de l'appartement. Je me replonge dans mon mutisme, dessinant dans le plus grand silence.