Ce fut en un froid terrible d'hiver que notre génitrice fut poussée à mettre son enfant au monde. Du moins, c'est ce qu'elle pensait. Elle fut bien déçue en apercevant qu'il n'y avait non pas un enfant, mais deux. Elle fut encore plus déçue par le fait qu'aucun des deux ne s'avérait être du même sexe qu'elle. Malheureusement, elle n'était pas la seule à nous avoir détesté dès notre venue au monde à Skëggi et moi. Non, c'est toute notre famille qui ne nous as jamais aimé. Personnellement, je ne dirais pas qu'ils ne ressentaient que du ressentiment à notre égard. Je suis persuadé qu'au fond d'eux, ils étaient quand même attachés à nous. Quoiqu'il en soit, on ne peut pas dire que notre enfance n'ait été de tout repos. Plutôt que de nous chouchouter, nos aînés ont préféré nous utiliser et nous réduire en Cendrillon. Mon frère et moi avons été les bonnes à tout faire pour ainsi dire. Mais qu'est-ce qu'on pouvait faire contre ça ? Il y avait des solutions seulement, aucune ne me convenait et ne me tentait. Mon jumeau aurait sans doute eu plus de courage que moi, mais il en a fait autant que moi. Non, ça a été bien pire pour lui à vrai dire. Après tout, ce n'était pas moi qui me faisait frapper et ridiculisé par presque tout notre village. Ça m'arrivait aussi, mais il était toujours là pour prendre ma place et me protéger du mieux qu'il le pouvait. Je n'ai pas eu autant de courage que lui pour prendre sa place moi. Je n'ai pas été assez courageux pour le protéger comme il le faisait. Je sais que tout ça a joué sur ce qu'il est devenu ensuite, j'en suis bien conscient. Même si, à mon avis, il aurait bien mieux tourné s'il n'avait pas rencontré cette... Enfin, on y viendra plus tard. Toute notre enfance donc, nous avons vécus humiliés, battus et réduit à assouvir les besoins de notre famille en faisant tout à leur place. Malgré tout, nous étions en vie et c'était sans doute le plus important. Enfin, l'étions-nous vraiment ? Au moins, Skëggi était là pour moi et j'étais présent pour lui aussi. C'était la seule chose qui nous faisait tenir parce que sans l'autre, nous nous serions laissé aller au repos éternel depuis bien longtemps maintenant. Bien entendu, notre adolescence n'a pas été meilleure. Seulement, nos corps étaient plus endurcies et les tâches étaient légèrement plus simples à remplir. Je ne sais même pas comment on a fait pour éviter toutes les maladies de l'époque alors qu'on était si sales, épuisés et pauvres. Nous n'étions pas malade, mais nos corps et nos visages étaient loin de rayonner autant que ces autres adolescents qui courraient dans les rues et riaient aux éclats. Je me souviens encore de toutes ces fois où je me suis assis près d'un pont bâti dans notre village et où je pouvais apercevoir les enfants et les adolescents jouer entre eux et s'amuser. Chaque fois, j'affichais un sourire en les observant et je m'imaginais les rejoindre pour jouer avec eux. Mais ça n'arrivait jamais. Enfin, quand ça arrivait, leur jeux était de me frapper et de m'humilier. Ce n'était donc pas souvent que je me risquais à aller les voir. J'avais mon frère, ma moitié, il me suffisait amplement.

Il y a eu le jour où tout a basculé ensuite. Bon d'accord, dis comme ça, ça fait penser à une émission débile qu'on voit à la télé, mais j'aurais préféré que ce soit juste ça. Je me souviens ce soir-là, Skëggi n'était toujours pas rentré de sa course et j'étais mort d'inquiétude. S'il lui était arrivé quelque chose ? Si cette fois, l'épuisement avait fini par l'avoir ? Si je me retrouvais seul, sans lui ? Non, c'était impossible. Pourtant... On dit que les jumeaux sont connectés, qu'ils sentent quand l'autre souffre et pendant un instant, j'avais senti une douleur vive dans ma poitrine. Mais il ne pouvait pas mourir, il ne pouvait pas me laisser tout seul, c'était impossible. Tandis que je continuais de ruminer, j'entendis enfin des cris apeurés parvenir à mes oreilles. Qu'est-ce qu'il se passait ? Je m'aventurais en dehors du foyer et apercevait avec stupeur une vision d'horreur. Tula, ce village si tranquille d'habitude était aujourd'hui le tableau d'une tragédie. Des maisons brûlaient, les gens courraient de partout complètement affolés, j'apercevais des corps étalés contre le sol et sans vie au loin et surtout, il y avait ces cris... Des cris qui vous glaçaient le sang et faisait disparaître le peu de courage que vous pouviez avoir. Je suis vite rentré dans la maison. Mes frères et mon père tremblaient, mais se préparaient à recevoir l'auteur de cet acte tandis que ma mère pleurait et semblait parler toute seule. Ils étaient tous regroupés au même endroit, mais il n'y avait pas de place pour moi. Y en a-t-il déjà eu à vrai dire ? Finalement, la porte s'ouvrit en fracas et la surprise me fit tomber violemment sur les fesses. Je me reculais tant que je le pouvais tandis que j'apercevais un jeune homme se diriger droit vers ma famille et les tuer un à un. C'était horrible, sans parler de la manière dont il s'en prenait aux miens. L'homme en question s'occupa enfin de mon père et tourna son regard vers moi. Je ne l'avais pas reconnu avant à cause de l'obscurité, mais au fond je savais que c'était lui. Skëggi. Il s'approcha de moi et j'étais paralysé par la peur, je ne pouvais plus bouger. Il était différent, très différent et vraiment effrayant. Mes yeux couleur châtaigne croisaient les siens qui avaient pris une teinte rouge. Son regard était terrifiant et pourtant, il ne me faisait pas peur. Il y avait cette lueur dans ses yeux qui me rassurait. Celle qu'il avait eu à chaque fois qu'il me protéger. Sans comprendre, je le voyais se rapprocher encore et encore de moi jusqu'à nicher son visage dans mon cou. Je sursautais en sentant deux choses pointues pénétrer ma peau, mais ce n'était rien face à la douleur qui suivit. Une douleur indescriptible. Petit à petit, je perdais conscience et mes yeux se fermèrent avec pour seul souvenir mon frère jumeau en train de me vider de mon sang. Ainsi, je suis devenu comme lui. Il m'a transformé en une créature qui ne vit que pour tuer les autres et se nourrir de leur sang. Je lui en ai voulu un moment, surtout parce que je détestais être ainsi. J'ai tué. Une seule fois. J'ai tué un homme, poussé par un désir incontrôlable de sang. J'ai pleuré ensuite, pendant un bon moment et aujourd'hui encore, j'ai encore la mort de cet homme dans la conscience. Pourtant, je n'en veux plus à ma moitié. J'aurais sans doute fait pareil à sa place et puis, j'ai appris à me contrôler pour ne plus tuer personne. Je me suis donc adapté à ma nouvelle condition. Il n'y avait pas que des inconvénients, je l'ai découvert. Ainsi, je suis devenu un vampire pour passer le reste de l'éternité avec mon frère. Si ça avait été si simple...

Notre apprentissage et la transformation de Skëggi, ce n'est pas venu tout seul évidement. C'était grâce à cette Vampirella du nom de Salomé. Enfin, j'avais un surnom un peu plus approprié pour elle auquel il suffisait de changer le m pour un p et d'enlever l'accent sur le e, mais bon. Je détestais cette femme, plus que tout. Elle a transformé mon frère en une créature certes, mais elle l'a aussi transformé en un véritable monstre. Elle était évidemment la responsable de son comportement et de son nouveau caractère. Elle a fini par se faire tuer et même si c'est mal de souhaiter la mort à quelqu'un d'autre, j'en ai été ravi. Je pensais que mon frère se calmerait après sa mort, mais rien n'a changé malheureusement. Depuis sa transformation, il était devenu cruel, arrogant et sans cœur. Il s'amuser à torturer, à tuer et à détruire tout ce qu'il y avait sur son passage. Excepté moi. Je ne pouvais rien faire. Enfin, c'est plutôt que chacun de mes tentatives pour le calmer ne fonctionnait pas. Nous étions deux opposés. J'étais peut-être devenu un tueur, mais je voulais garder mon humanité et je me suis mis à boire le sang animal, ne voulant tuer personne. Il y a aussi les poches de sang, j'en prends de temps en temps. Quoiqu'il en soit, Skëggi et moi étions comme ange et démon, mais j'étais persuadé que quelque part au fond de ce monstre méconnaissable se cachait mon frère. J'étais sûr de pouvoir le sauver et pendant des siècles et des siècles, je n'ai cessé d'essayer. Jusqu'à il y a deux cent ans. J'avais rencontré un jeune homme, William. Il était grand, brun et avait ce sourire capable de briser toutes vos barrières. C'était un homme généreux. Il faisait beaucoup de bénévolat pour les enfants malades et il était très impliqué dans la construction d'un nouvel hôpital. Nous nous sommes vus plusieurs fois, nous avons partagé des moments tendres. Sans m'en rendre compte, je me suis beaucoup attaché à lui. C'était sans compter sur mon frère qui s'est fait un malin plaisir de mettre fin à sa vie. Je ne sais pas si c'était simplement un jeu pour lui ou si c'était par jalousie, mais je n'ai pas pu lui pardonner ce coup là. En voyant le corps inerte et plein de sang de celui que j'aimais, j'ai compris que je ne pouvais pas sauver mon frère. Il n'était plus le même. Je me suis lancé à la recherche d'une sorcière que j'ai mis un très long moment à trouver. Six mois pour être précis. " J'ai besoin de votre aide. Je veux... Je veux arrêter un vampire de sévir. Je veux stopper mon frère et l'empêcher de tuer encore. " La jeune femme basané accepta de m'aider et ce fut dans l'enceinte d'un lieu dit saint que je mettais fin aux agissements de mon frère. J'ai attrapé son cœur dans ma main et j'ai laissé la sorcière le transformer progressivement en pierre. Je me souviens de son regard. Il m'en voulait, mais avant tout, il était blessé et il avait peur. Je revoyais des sentiments qui m'avaient semblé effacés à jamais chez Skëggi. " Pourquoi ? " Ce ne fut l'instant d'après plus qu'une statue de pierre. Je laissais la seule larme que je n'avais pas réussi à contenir couler le long de ma joue avant d'aller enterrer ma moitié.

Deux ans cent se sont écoulés donc. Deux ans cent passés sans mon frère. Je m'en voulais. Je m'en voulais énormément pour avoir trahi mon frère, pour l'avoir enfermé. Mais je n'avais pas eu d'autres choix, c'était la seule solution pour protéger les autres. Il était bien trop dangereux. Pourtant, la culpabilité me rongeait depuis deux ans cents et je savais que je devrais y vivre pendant encore l'éternité. C'était le prix à payer. Chaque année, le jour de notre anniversaire, je retournais là où je l'avais enterré. Je m'arrêtais au-dessus de sa tombe si l'on peut dire et j'hésitais à le sortir de là. Je me résignais à chaque fois, sachant pertinemment que ce serait prendre un énorme risque. Pourtant, il me manquait. C'était dur de vivre sans lui. D'ailleurs, depuis deux ans, j'ai emménagé dans une ville du nom de Twin Cover. Je me fais appeler Ian, pour me fondre dans la masse et je suis un simple étudiant. Je sais déjà la tête que Skëggi ferait s'il savait que je passais mon temps à vivre en humain. Je sais ce qu'il pense de tout ça, mais c'est ainsi que je me sens vivant. C'est cette vie que je veux. Je me plais à Twin Cover et je peux avoir une vie aussi banale qu'un adolescent. Je peux enfin goûter de près à ce dont j'ai toujours rêvé. Malgré tout, c'est dur de me dire que je ne reverrais jamais mon frère. Que je ne reverrais jamais Skëggi