❝ Fatigué, je le suis. De vivre. De survivre. De voir le temps s'évaporer. De voir le monde tourner mais plus avec moi. Sans moi, ouais. Et cette absence. Tranchante. Lancinante. Douloureuse. Ne s'en va jamais réellement. En moi, avec moi, à chaque instant. Elle porte ton visage, ton sourire, ton rire mais est remplie de ton vide. De moi sans toi. Samantha. Es-tu bien là où tu es ? ❞ Elle est venue, elle a débarqué comme un cheveu sur la soupe. Le toubib, il l'a placé là, dans le creux de mes bras pendant que sa salope de mère se remettait de ses émotions ou que sais-je. Le moment : cruciale, décisif. Et ça me tombait sur la gueule puis qu'est ce que je foutais là d'abord ? Des questions, peu de réponses. Le regard du toubib me plombe la face, extra-terrestre que je suis. Il attend et je lui apporte des réponses « Samantha » Que je dis en la regardant, elle, sûrement la plus belle merveille que j'ai pu voir dans le monde. « Samantha Lasher » Et son destin se traça face à elle quand un soleil se dressa sur le mien d'horizon, le mien de destin. Il porte son nom, il porte son sourire, il porte son avenir. « Samantha Lasher » Que ma bouche se met à répéter comme une prière, comme une formule magique. Sûrement celle qui la protègerait de tout et envers tout. Mon incantation. Ma fille. Et j'ai compris que je ne suis pas devenu père mais qu'elle m'a choisi comme père, voilà toute la différence

« Papa ! » Le coffre de ma gamine n'a plus de preuve à faire, elle tient ça de sa mère : cette capacité à hurler des décibels, d'en faire des potences pour les tympans. « J't'entends d'ici, pas l'peine d'gueuler, mioche ! » Sam, elle virevolte, tourbillon fou de papillons. Elle oscille autour de moi, sourire aux lèvres, rires dans les yeux. « J'bosse, Sam. J'ai pas le temps d'jouer » Espiègle, elle lève sa main, tend l'index et me regarde, mélange d'innocence et d'escroquerie. « Non ! Sam » Mon diablotin de trois pommes ignore, elle tient ça de sa mère ce côté : rien à foutre de ta gueule, je fais comme je veux. Un tourbillon d'invisible s'empare de ma pelle et finit ma besogne. Voyez vous, ma gamine, elle a pas besoin d'Fantasia, sa vie est un dessin animé. Un balai qui bouge tout seul, ça ne l'a fait plus rêvé, ça l'a fait rire sous cape. « J'ai dit non ! » La pelle retombe lourdement sur le sol alors qu'un vent silencieux part se cogner contre son petit corps. La magie de Sam ne fait pas le poids contre la mienne et c'est bien ça qui l'agace, bien plus qu'une punition. « T'es nul » Et là voilà qui court pour aller bouder en terrain hostile, hostile à moi : sa chambre. « C'est bien ta fille » L'écho caverneux s'élève dans la brise jusqu'à mes tympans et avec elle, l'odeur lointaine de mon enfance. « Ses pouvoirs grandissent comme toi à son âge » « Ouais » « La relève est assurée » « Ce n'est pas pour ça qu'elle est v'nue sur terre » « Je le sais comme tu sais que le monde nourrit toute sortes de pensées différentes » Je me retourne mais Mama Nasy est déjà retournée dormir dans son cocon de limbes laissant qu'un vide abrupte derrière elle. Cette connexion aux ancêtres, c'est un bien comme un mal mais c'est que je suis, ce dont j'ai hérité même sans l'avoir désirer. Ca s'appelle : le destin.


« P'pa ? » Un grognement s'élève en toute réponse, mon visage se tourne vers ma gamine, avachie sur le canapé. « Comment ça s'est passé ? » « Pour ? » « Tes pouvoirs » Le silence s'installe. Pesant. Lourd. Et je déterre des carcasses de mon enfance, je déterre des cadavres de souvenirs, je déterre le destin funeste des Lasher, le mien par procuration. Et je m'y noie à nouveau, comme si c'était hier.
La nuit est lourde, chargée et mon corps disloqué, mon esprit étriqué. Des flashs passent en rafale dans mon esprit, l'étourdissant. La douleur est intense : celle qui a été infligé à d'autres, celle de mes aïeuls, celle de la culpabilité, celle de haine, celle des remords, celle des regrets, celle de la vengeance, celle de la haine. Mon corps devient stigmate et mon âme fusionne avec toutes celles des Lasher avant moi : c'est le rituel de passage. « Silas, ça va aller » Mama Nasy trône à mes côtés, ses bras sont autour de moi mais je ne les sens déjà plus. Mon corps devient acier, enclume, cédant sous le poids du fardeau qu'on me transmet. Je me perds dans le labyrinthe du temps, perdu entre le passé, le présent, leurs passés et le mien. Jaillit seulement les actes, les erreurs de mes ancêtres, des erreurs qui deviennent miennes. Tout se fusionne, tout « Silas, fais bien la différence. Ce n'est pas toi qui en est à l'origine. Ce ne sont pas tes actes » Les larmes roulent alors que le poids m'enterre un peu plus en terre. J'ai cette sensation de devenir fou, de me perdre complètement parmi ce flot de souvenir. Mama Nasy joue le rôle du garde-fou, elle me maintient dans ma vie actuelle, dans le présent, dans cette entité. « Reviens. Tu es Silas Lasher, en 1990. Reviens, Silas » Je remonte lentement à la surface, la douleur s'atténue mais reste présente et enfin, mes paupières scellées s'ouvrent. Le monde me paraît différent et je sais à cette seconde précise que plus rien ne sera comme avant. Un goût d'amer, un goût de regret pour à peu près toujours « Nous, les Lasher, nous sommes maudits » Mama Nasy passe une main sur mon visage trempé, essuie une larme le regard rempli de compassion. « Vous n'êtes pas maudits. Certains de tes ancêtres ont eu des desseins sombres, ont fait de très mauvaises choses mais ne laisse pas leurs actes te définir. C'est toi qui définit ta magie, ce que tu veux qu'elle réalise et ce que tu refuse qu'elle fasse » Les regrets commencent à pulluler : je n'aurais pas dû faire ce foutu rituel de transmission et d'accepter pleinement mes pouvoirs, cela engage à trop. Trop. Je ne suis pas certain d'être capable de supporter ce poids, d'accepter que mes ancêtres ont versé tant de sangs pour user de la magie noire, pas certain que j'arriverais à vivre en sachant que, des décennies auparavant, ma famille a eu une grande implication dans la naissance de ces foutus suceurs de sang.

Je retourne dans le décor de mon salon en friche, ma gamine me fixant, attendant ma réponse. « C'était douloureux » « Moi aussi je passerais le rituel de transmission ? » « Jamais » Le ton est brutal, sec, à tel point que Sam sursaute perplexe. Jamais ma fille ne vivra avec ce poids du passé sur les épaules, à ne jamais oublier le son des cris, des pleurs des innocents tués, à toujours se souvenir de cette culpabilité profonde et vieille qui subsiste siècle après siècle de Lasher en Lasher. Je ne laisserai pas cet héritage putride se déposer sur l'avenir de ma fille, elle vivra loin du passé funeste des Lasher même si le prix à payer est de ne pas se lier corps et âmes aux éléments, d'être une sorcière non accomplie.


« Samantha Lasher sera l'élue » Mon sang ne fait qu'un tour, mon coeur tambourine et je pourrais quasi le dégueuler là, dans cette salle de merde. L'oeil va de la chair de ma chair à celui qui vient de parler, d'apposer sa sentence. Autour de moi, la communauté acquiesce, complice de cette décision, complice de cette trahison. Ma bouche s'ouvre pour protester, gueuler un bon coup, foutre la merde dans cet ordre que j'ai toujours respecté et suivit qui aujourd'hui me poignarde dans le dos. Sam, elle cligne des paupières, avalant, encaissant le coup et ouvre la bouche avant moi. « Je suis honorée de l'être » La rage gronde, détruit tout sur son passage. Sam avance et prend la main de l'aîné, sourire crispé sur le visage, sourire d'une condamnée, sourire d'une offrande, sourire d'une sacrifiée. Mes lèvres s'ourlent, rictus de dégoût. Nos regards se croisent et je sais qu'elle a choisit son camps, elle a choisi la magie à la vie. Je me tire sans me retourner, sans demander mon reste : qu'ils aillent tous se faire foutre.  

Papa. Identité à part entière. Papa. Mon essence même. Papa. L'armure qui m'a permis d'endurer la vie. Papa. Jusqu'à lors la force, ma force. Papa. C'est elle. C'est moi. Alors j'y suis retourné, brisant le cercle, pointant une arme sur toutes les tempes que je croiserai. « Silas, tu brise le rituel » « Et toi, mes couilles » Mon insolence pisse sur son autorité, aîné de mon cul. Je m'élève, rébellion, je fais entendre ma voix. Je suis un Lasher et pour une fois, j'y trouve ma force. « P'pa ! Arrête » Sa voix tranche l'air mais ses yeux, ses yeux suintent de peur, elle n'a pas envie de crever, pas ici, pas pour apaiser je ne sais quel trou du cul d'ancêtre pour renouer je ne sais quelle merde. J'en ai rien à foutre. Plus rien désormais. « Silas, crois-tu réellement que ton arme peut pouvoir me menacer en ces lieux ? » « N'oublie pas qu'je suis un Lasher » Dans ses yeux, une lueur : il a compris la menace, l'avertissement. Et puisque ma fille semble aimer tant que ça la magie au point de lui offrir sa vie si précieuse, je lui donne de quoi observer, de quoi apprendre, de quoi trembler. Je lui montre de quelle famille elle provient, qui elle est à travers moi. Une Lasher. Une combattante et non une offrande. L'énergie se condense, se fusionne : celle des quatre éléments. Je deviens instrument, témoin unique d'une puissance silencieuse qui évolue autour de nous quotidiennement. Pure. Le but n'est pas de blesser mais de faire reculer, le but est : de se tirer d'ici et s'émanciper de cette communauté. Chose que je viens de faire. Même si ça m'a fallut d'user de ce don endormi depuis des années. Le réel pouvoir des Lasher

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