Je respirais à peine. Chaque inspiration, et chaque expiration, redoublaient ma douleur grandissante. Complètement étalé au sol, j'attendais. J'entendais des coups de feu, des cris, le bruit de personnes qui couraient. J'arrivais faiblement à entendre encore les voix familières de mes camarades de bataillon. Pourtant je les entendais. Je savais qu'ils étaient là, non loin de moi, et qu'ils allaient venir m'aider d'une minute à une autre. C'était le seule espoir qui me restait, et j'y croyais dur comme fer. J'attendais alors, quelques secondes, quelques minutes. Mes souffrances corporelles se faisaient de moins en moins douloureuses, ma respiration de plus en plus rare. Je compris alors dans un grand silence, un silence de morts, que mes camarades ne viendraient pas me chercher. Qu'ils étaient surement déjà loin, qu'ils ne reviendraient pas. Par abandon, ou peut-être parce qu'ils me croyaient mort, mais ils ne reviendraient pas. L'espoir disparu alors. Cette seule chose qui me maintenant encore en vie après ces longues minutes d'agonie, venait de m'être enlevée dans une lucidité déconcertante et blessante. Je ne voulais pas mourir. Je m'étais engagé dans cette guerre pour défendre les droits des hommes, pour défendre les valeurs de mon pays. Je connaissais les risques, j'avais même envisagé ma mort. Cependant, on ne réalise jamais vraiment jusqu'à ce qu'on soit confronté à elle. C'était effrayant, terrifiant. J'agonisais de peur. La souffrance disparaissait peu à peu, et signait ma fin. Je ne voulais pas, je ne pouvais pas. Il y avait Beth, ma femme, ainsi que Samuel et Kurt, mais deux fils, mes deux fiertés. Je ne pouvais pas abandonner ma famille, je n'avais pas le droit. Je sentis une larme coulait. Je pouvais sentir la mort, l'enlacer, c'était fini. Je fermais les paupières. Le noir, rien que le noir. Il ne resterait bientôt plus rien. J'ouvris pourtant les yeux, sentant une présence près de moi, comme si je m'accrochais alors à mon dernier espoir. C'est alors que je l'ai vu. Il se tenait devant moi, accroupi, plongeant son regard droit dans le mien. J'ouvris la bouche, mais aucun son ne sortit. Il posa son doigt sur sa bouche, me faisant alors comprendre de ne rien dire. Habillé comme un civil, je comprends alors qu'il n'est pas soldat. Je ne sais pas à quoi m'attendre. Il me sourit, et le temps d'un instant, je me sens en sécurité, puis vint le noir complet.

Le réveil est brutal, plus dur qu'il ne l'a jamais été. Ma tête me tourne, la nuque me fait un mal de chien. J'ouvris les yeux. Regardant tout autour de moi, je ne reconnaissais absolument rien. Je devais me trouvais dans une petite maison en bois, une vieille cabane. Comment étais-je arrivé jusque là ? Mon dernier souvenir était moi, agonisant en plein champ de bataille après avoir reçu plusieurs blessures par balles. Je soulevais mon t-shirt. Un frisson envahit tout mon corps. Il n'y avais aucun pansement, aucune cicatrice, aucune trace. Comme si tout ce que j'avais vécu n'avait jamais existé, n'avait été qu'un cauchemar. "Déjà réveillé ?" La voix me fit sursauter. Me cognant au mur, je levais les yeux vers le même homme que j'avais vu sur le champ de bataille. Je n'avais donc pas rêvé. Déboussolé, il le perçut dans mes yeux. Il sourit malicieusement. "Tu dois être affamé." Il avait étonnamment raison, je n'avais jamais eu aussi faim de ma vie. Je ne répondis pas, effrayé. Il n'avait pas l'air méchant, mais il n'avait pas l'air gentil non plus. Je ne savais pas dans quelle catégorie il jouait, ce qu'il voulait de moi, pourquoi il m'avait sauvé et surtout comme il l'avait fait. Je ne savais pas si je désirais avoir les réponses à ces questions, peut-être étaient-elles encore plus effrayantes que les questions elles-mêmes. Il se racla la gorge et sortit de la chambre. Quelques secondes passèrent avant qu'il ne revienne, accompagné cette fois. Il avait avec lui un jeune homme, qui portait le même uniforme que j'avais moi aussi porté. Je le reconnaissais. Il était dans le même bataillon que moi. Il était présent quand on m'avait tiré dessus, et il était parti avec les autres. Une haine immense s'empara de moi, une haine qui ne me ressemblait pas. "Bon appétit." Je ne compris pas, et n'eus pas besoin d'explication pour répondre à cette question. Il lança l'homme terrorisé sur mon lit, et je sentais une douleur dans mes dents, comme si en un instant quatre dents en plus venaient de pousser. Ma vue se brouilla un instant. Sans raison, par simple instinct, je sautais sur l'homme, attrapant son cou avant de mordre dedans à pleine dent. Je drainais son sang, encore et encore, sans m'arrêter. Après quelques minutes, je relâchais ma prise, laissant tomber le corps de l'innocent. Il était d'un pâle cadavérique, les yeux grands ouverts, la bouche aussi, du sang coulant de sa nuque. Il était mort. Par ma faute. Je reculais en comprenant ce que je venais de faire. "Qu'est-ce que j'ai fait ? !" M'écriais-je, brisé par ce que j'avais fait. L'homme me sourit, et ria. Qu'étais-je devenu, un monstre ?