Anyone. Anytime. Anyplace.
La lumière filtra avec puissance à travers ses pupilles. Il fronça les sourcils, et voulu se tourner, prendre son oreiller et se cacher avec. Son réveil fut aussi brutal que délicat. Il entendit un son. Ce bruit, il semblait le connaître. Comme s’il avait vécu avec durant des années. Comme s’il faisait partie de lui-même. Ce son était proche de celui du fast food où il allait avec ses parents. Ou de la petite musique du marchand de glace…Non en fait c’était comme le train qui approchait… C’était quelque chose de strident, mais de régulier. Hypnotique. L’image d’une spirale s’imposa à son cerveau, sans qu’il ne sache vraiment pourquoi.
Tout ce qu’il savait à cet instant c’est qu’il était censé être au zoo. Dire coucou à messieurs les singes, leur tirer sa langue avec une malice enfantine. Charmer toutes les gentilles filles qui passaient près de lui avec son sourire farceur. Son sourire. Il essaya d’en esquisser un, et ressenti une telle fatigue qui l'arrêta aussi sec.
Pourtant, il avait bien dormi dans la voiture. Il s’en souvenait. La dernière image qu’il avait vu avant de plonger dans son sommeil. Sa mère qui discutait avec son père, en écoutant la radio. Bruit de fond. Comme ce son régulier. Les oiseaux qui volaient. Cet arbre. La douceur de la chaleur d’été. Mais en son cœur, tout ceci s’imposait comme quelque chose d’éphémère et de révolu.
Quand enfin, il pu ouvrir ses yeux sans sentir la lumière lui exploser au visage. Il vit. Il n’y avait ni éléphant ni girafe. Pas même le visage rassurant d’un proche. Juste ce blanc, immense, tel la neige. De la neige ? Mais nous étions en été ! Comment pouvait-il apercevoir autant de cette couleur, résultat d’une synthèse virtuelle ? Il voulu poser la question, mais ses lèvres se firent lourdes. Comme quand il faisait la sieste trop longtemps.
Son regard s’habituant peu à peu à la lumière, envoya des messages au cerveau. Celui ci compris, et sut détailler. Ce blanc n’était pas de la neige. C’était celui qu’il avait déjà vu quand il avait sauté de la balançoire il y avait quelques mois. Pour rigoler. Et que son bras s’était cassé. Ce blanc trop pur. Similaire à la neige. Mais inverse de la pureté. L’hôpital. Mais que faisait-il là ?
Un souvenir lui revint.
Maman me regarde avec ses grands yeux bleus. Ils sont trop beaux ses yeux. Papa dit qu’ils sont comme le ciel. Et que nous, nous sommes ses soleils, et ses oiseaux. Ca me rend toujours content quand mon papa il dit ça ! Parce que c’est beau le soleil, même si ça fait mal aux yeux ! Elle me sourit ma maman. Elle me prend dans ses bras. Elle me dit que tout va bien. Que tout va bien. Je le dis deux fois, parce qu’elle aussi elle le fait. Elle semble presque triste et moi je veux pas qu’elle soit triste.
Elle dit que ce soir il faudra que je dorme bien. Que je fasse un gros dodo. Que je sois sage. Elle fait souvent ça. Partir sans prévenir. Me laisser seul la nuit, en s'en allant avec papa. Je sais pas où ils vont. Je sais juste que y a que moi pour chasser les monstres qui veulent me manger. Alors, comme papa y dit que je suis un heureux chevalier, ben je suis courageux alors j’ouvre le placard et je crie. Pour faire fuir les monstres. C’est rigolo, alors ça me fait rire. Et ça me fait du bien. Parce que même si je suis tout seul et que papa et maman sont pas là, ça attire Cassandra. C’est ma baby-sister. Mais c’est trop nul elle sait pas s’occuper des monstres.
Papa et maman y disent que c’est un devoir à eux de chasser les monstres. Ca doit être dur comme devoir, mais j’aimerais bien avoir ça. C’est mieux que les devoirs que me donne la maîtresse ! Elle dit qu’on va apprendre à lire, mais c’est super dur ! B ça fait bééé et H ça fait hache. Pourquoi ça fait pas un autre son ?
Et j’aimerais bien un câlin de maman. Pour me félicisté parce que d’abord j’ai bien chassé le monsieur monstre. La douceur du visage de sa mère ne cesse de transparaître dans ses souvenirs. Et il n’ose comprendre sa réelle présence dans ce lieu. Et cette absence. Qui le marque. Où sont ses parents ? Pourquoi ne se trouvent-ils pas au zoo ? Est-ce qu’il est à « la firmerie » du zoo ? Mais non. Il n’y a que les animaux qui ont besoin d’avoir leurs blessures de guéries quand on est au zoo.
Mais cet hôpital reste là devant lui. Et il y a cette grande madame blonde, qui le regarde comme si elle avait vu une chose étrange. Lui, il ne comprend pas. Il essaie de poser une question, se force. Sa voix se casse, sa voix hésite. C’est presque comme s’il avait oublié comment on faisait pour parler. Pourquoi il oublierait ça ? Ce n’est pas possible. Ses parents lui ont appris correctement l'usage de la parole pourtant. Il fronce les sourcils, de ce mécontentement qui s’affiche sur tout son visage. En même temps vient le caprice. Et l’effort. Et dans cette chambre froide résonne un son. Celle de sa voix. Qui demande le Pourquoi essentiel à toute cette comédie. A moins que tout ceci ne soit qu’une tragédie ? Et c'est amusant, d'ailleurs. Sa voix n'est pas comme avant.
La dame lâche son balai. Elle ne répond pas à la question. Un silence arrive. C’est un silence dérangeant, timide et gênant. Quelque chose qui ne rassure pas le garçon. Qui lui colle des frissons contre ce corps qui refuse de bouger correctement. La lumière continue de le fatiguer. Ce n’est pas agréable. Mais il doit rester éveillé pour comprendre. Où sont les arbres et les oiseaux ? Et ses parents et la radio ?
La femme blonde s’en va. Elle le laisse seul. Il en a presque froid. Mais nous sommes en été pourtant.
N’est ce pas ?
Plus on est grand, et plus c’est pire moins c’est marrant. Moins on est gai et moins qu’on se marre, évidemment.
Les roues de la voiture ne cessent de tourner en long et en large. Elle file à vitesse raisonnable. Le son qui sort de la radio t’apaises. C’est comme une mélodie. Et la voix de tes deux parents sonne comme quelque chose d’autant plus agréable. Presque autant que la douce odeur des oranges. Ce sont des voix que tu connais, qui te sont familières, et qui doucement se perdent dans la brume. Tandis que ta petite tête d’enfant de six ans glisse lentement sur le rebord de la fenêtre, endormi.
Ta mère jette un coup d’œil dans le rétroviseur. Elle ne lâche pas le volant. Elle se tourne vers ton père, lui offre un sourire amusé. Lui fait signe que tu dors. Ils trouvent cela adorable. Leur petit ange s’est assoupi. Mais tu as bien eut raison. Il reste encore du temps avant d’arriver au zoo. Et l’été se fait chaud.
Quelques instants après. Les roues crissent. Glissent. Le capot percute. Culbute. Tulmute. Tout se bascule tandis que toi tu restes endormi. Tout va si vite. Juste le temps d’un cri que tu n’entends pas. Celui de ta mère.
La fin. Les minutes passent. Les médecins arrivent enfin. Ils se doivent bien de lui expliquer la situation, ils savent faire cela en douceur. Mais tout d’abord, vérification essentielle. Se rappelle il de son identité ? Alors ils lui demande son nom. De nouveau, sa bouche émet des sons. Soend Adamson. Il sait que sa mère vient d’un pays lointain, en Europe. Mais il n’a jamais pu retenir le nom parce que c’était compliqué. Ca ressemble à la pierre. Stone. Quelque chose du genre. Estonie, lui demande-t-on. Il répond positif, puisque cela lui reviens. Il dit qu’il a six ans, et que d’abord il veut voir son papa et sa maman.
Le silence gêné qui avait fait son apparition peu avant, revient sans prévenir. Mais un des possesseurs de ses blouses blanches ose prendre la parole. Le temps passe, tandis que les médecins parlent. Ce sont eux les connaisseurs. Les détenteurs du savoir. Ils sont bien obligés d’expliquer la situation à cet ancien enfant qui gît dans ce lit. Recouvert par des draps blancs. La pureté de son innocence s’effrite à leurs mots. Ils doivent lui expliquer le sens du mot coma. Se répéter, souvent. Dire qu’en effet, Soend a dormi dix ans. Dix. Longues. Années.
Pendant lesquelles ses parents ont été vite enterrés. Oubliés. Seule sa tante continuait à s’occuper de lui. Enfin, à lui rendre visite. Rarement. Mais suffisamment. L’enfant comprend. Il n’a plus de parents. Plus d’enfance. Plus aucun repère. Plus aucun moyen. Plus rien. Se répète tout cela en boucle. Et finalement craque. Cède. L’humain est un être fragile. Les enfants le sont encore plus.
Les médecins se voient obligés de le calmer. De l’endormir à nouveau. Juste pour le détendre.
J’aimais bien Tata Coralie. Elle était gentille. Parce qu’elle m’offrait toujours des sucettes. En plus c’était trop cool, elle savait exactement celles que je voulais ! Chocolat, toujours ! alors comme maman elle voyait bien que ça me faisait sourire, ben je crois que c’est pour ça qu’elle m’emmenait souvent. Mais Tata Coralie elle vit seule. Parce que papa dit qu’elle a peur. Qu’elle est toujours effrayée. Alors je me suis promis de chasser les monstres de son placard. Mais maman a dit que ce n’était pas des monstres dont elle a peur, mais d’elle-même. Elle dit que tata est bipolaire. Mais je ne sais pas ce que ça veut dire. Qu’elle vit avec les nounours blancs ? Au réveil, il se rappelle. Soend sait. Que tout est fini et qu’il va devoir reprendre là où il en était. Non, plutôt reprendre depuis le début. Qu’il ne verra plus ses parents. Avant de s’endormir il n’aurait pas pu comprendre. Aurait-eut beaucoup plus de mal à l’assimiler. Mais là, c’est différent.
C’est nul d’être grand. On comprend trop bien les choses qui peuvent le plus nous blesser. On apprend aussi à Soend, qu’il va devoir réapprendre tout comme un bébé. A marcher. A courir. Un peu à parler, aussi, peut-être. Qu’il va devoir rattraper dix ans en peu de temps.
Et pour lui, cela semble être comme essayer de caresser des étoiles.
Quelque chose d’impossible. Surtout après avoir perdu ses parents. Il n’est plus rien d’autre qu’un caillou perdu au bord d’une route. Qui n’attend qu’à ce qu’on tape dedans pour le faire bouger. Il y a pleins de choses qu’il ne comprends pas. Qu’il ne veux pas comprendre. Qu’il comprend trop bien. Des choses qui lui font peur. Et surtout, il ne veux plus dormir. Pour ne plus perdre personne à chacun de ses réveils.
Moins qu’on est petit et plus c’est moins qu’on n’est pas grand
Cette tante auquel tu tiens, viens parfois te rendre visite. Durant ton sommeil, elle t’observe, ose te recoiffer. Tes cheveux continuent de pousser après tout. Elle se doit bien, de repousser tes cheveux en arrière. Elle pleure aussi. Sors un mouchoir en t’observant. Elle se demande si tu l’entends, si tu la comprends. Elle se pose tant de questions. Mais toi, tu n’es nul par ailleurs que dans un néant qui t’empêche de penser. Dans un sommeil éternel. Tu sais, comme la belle aux bois dormants que tu rêve de sauver. Tu es un Chevalier après tout. Un Prince Charmant qui sauvera toutes les princesses en détresse qui viendront t’appeler. C’est sûrement à cela que tu rêves.
Mais ce que tu ne sais pas, en cet instant, c’est que ta tante doute. Et si tu venais à te réveiller…Serait-elle capable de s’occuper de toi ?Petit à petit, on lui apprend de nouveau l’essentiel. C’est difficile pour lui. Soend ne veut pas. Il boude, fait la moue. Il pleure, aussi, souvent. Ça, c’est marrant, mais il n’a pas oublié comment on faisait. Ses larmes coulent sans qu’aucune infirmière ne puisse les arrêter. On prend pitié de lui. Mais qu’est ce que l’on pourrait faire d’autre ? Alors on reste planté là. Et l’enfant continue de pleurer, dans ce corps trop grand pour lui. Qu’il ne comprend pas, qu’il a du mal à accepter.
Parfois, quand il se regarde dans le miroir, il a l’impression de ne pas se reconnaître et ça lui fait peur. C’est comme si ce n’était pas lui. Ses cauchemars hantent ses faibles nuits. Les médecins veulent le forcer à dormir, mais c’est difficile, il stipule qu’il a déjà assez veillé comme ça. Qu’il se doit de se préparer pour faire fuir les monstres du royaume. Il se crée des barrières et refuse de s’en sortir. Le père noël se doit d’exister. Et il reste le Chevalier qui sauvera les princesses.
C’est dans ces conditions là, alors qu’il commence à avoir la forme, à pouvoir sortir de l’hôpital, que sa tante vient le voir. Elle a affreusement maigri depuis la dernière fois que Soend l’a vu. Elle semble à moitié morte, et cela lui fait peur. Il tente de se cacher. Peut-être est-ce un monstre ? Il se sait lâche et cela le frustre. Mais il n’a encore jamais vu de monstre en vrai. Coralie se rend bien compte qu’elle n’est pas en état pour s’occuper de lui. Elle n’a pas changé. Elle a empiré. Bien qu’elle soit adulte, elle reste irresponsable.
Alors c’est décidé, à sa sortie, Soend ira en foyer.
Et malheureusement, soudain, il ne veut plus partir de l’hopital. Parce que ce « foyer » il ne sait pas ce que c’est. Mais à la tête des infirmières ça ne sonne pas très bien. Il veut se blottir contre la peau douce de sa maman. Sentir la barbe de son père. Mais tout cela est terminé à présent.
Les jours passent, et on fini par le faire changer d’endroit. Il découvre le foyer. L’endroit où il vivra à présent. Faute de mieux.
Ils me regardent tous bizarrement. Moi je vais leur dire que je suis trop bien je suis un chevalier d’abord ! Mais en fait j’ai super peur. Je suis pas chez moi. Si en fait ! J’ai pas changé de ville ! Mais bon… Ca reste que j’aime pas ça moi d’abord. En plus je vais devoir aller avec les grands à l’école. Alors que je sais même pas encore bien lire ! Mais Sophie elle a dit que d’abord j’aurais des cours en plus. Beurk, j’aime pas l’école. Et je vais devoir apprendre encore plus. J’aimerais juste….Serrer maman contre moi. Ca me fait peur tout ça…Je veux pas….
Mais j’ai pas le choix…C’est ça ?
J’aurais jamais voulu grandir. Surtout si c’est pour devenir ça. Pour voir ça. Pour me sentir aussi seul. J’ai peur. C’est tout ce que je sais.
Je suis pas encore chevalier, en vrai, je suis qu’un écuyer, moi…..
Papa, maman. S’il vous plait. Protégez-moi.
Et c’est pour ça qu’elle est si triste et puis voilà.