- Non ! Aimer quelqu’un c’est être prêt à passer l’éternité avec lui. Pas le regarder mourir. Il lui jette au visage, les traits crispés, les poings serrés. C’est la même conversation qu’ils ont. Encore et encore. La seule, à vraie dire. Il s’en rend compte Mircea ne peut rien y faire. Il la voit, toujours aussi belle, toujours aussi farouche alors que le miroir lui renvoie les traits d’un cinquantenaire. Il ne le supporte plus. Il ne supporte lus les regards dans la rue, les chuchotements intempestifs, ça. Eux. Il ne le supporte plus. – Va-t-en Réa. Qu’il lui ordonne finalement, d’une voix beaucoup plus calme. Elle est calme, elle est toujours calme. Elle le dévisage un moment, il lui semble apercevoir des larmes au fond de ses grands yeux bleus. Mais elle s’en va. Demi-tour contrôlé et dans la seconde, il se retrouve seul dans son salon. Seul. L’idée de se séparer d’elle l’écorchait vif mais celle de mourir près de son corps immaculé suffisait à l’emplir de désespoir. Il ne pouvait plus. Il n’emportait qu’une valise, maigre butin de ses années passées dans sa patrie. Il ne désirait rien de plus que Rea mais ne pouvait rester à ses côtés. Alors il fuyait, pauvre fou qu’il était. Il la fuyait. Il se fuyait. Et là, dans la salle d’attente de l’aéroport bondé, il était loin de penser qu’il n’était pas le seul à voir son cœur se briser. Il était loin d’imaginer que Réa, sa Réa, tendre et douce Réa l’observait, les yeux en larme, le cœur brisé. Elle aurait voulu le retenir, elle le désirait plus que tout mais ne pouvait s’y résoudre. Il la voulait, plus que tout autre chose sur terre il voulait Réa à ses côtés mais ne pouvait se résoudre à la perdre. Alors c’était lui qui s’en allait. Ils étaient là, séparés par quelques mètres, deux cœurs perdus, deux âmes en sang.

La solitude ne lui seyait guère. Ce n’était pas comme un vieux manteau qu’il lui suffisait d’enfiler, il n’avait jamais été seul. Réa emplissait son cœur depuis si longtemps qu’il n’y avait plus de place pour rien. Il errait, au rythme des jours, des semaines, sans but, incertain de ce qu’il attendait de la vie. S’il s’était intégré à une clinique déjà présente, peu pouvaient se targuer de le connaitre. Il était taciturne, au mieux patibulaire. Il n’avait envie de rien si ce n’est de passer ses doigts le long de sa douce chevelure. N’avait gout à rien si ce n’est celui de sa peau. Sa vie tournait autour de Réa. Et maintenant, autour de sa perte. C’était un duel constant, ne pas l’appeler, ne pas craquer. On l’appelait l’ermite, et encore, pour ceux qui restaient polis. On lui parlait peu, on s’écartait de son passage. Aigri. Coléreux. Il en voulait à la terre entière, il en voulait à Réa mais c’était contre lui qu’il était le plus en colère. Contre son propre corps, vil traitre. Contre ces rides qui s’installaient sur son visage et le temps, ce temps qu’on lui volait. Il ressassait, encore et encore, tant et si bien qu’il faillit ne pas la voir. Le voir. Ce chien, ce loup. Il s’est approché, loup. C’était un loup. Il savait. Réa lui avait tout montré, tout apprit. Il savait qu’il pouvait déceler un être humain. Alors il l’a transbahuté dans son pick up. S’il semblait ne plus avoir l’âge pour ce genre de choses, il n’avait pas perdu sa force. Plongée dans le noir, la clinique avait un arrière gout de film d’horreur. S’il avait eut un minimum de bon sens, sans doute aurait-il eut peur. Mais la mort ne lui semblait pas la pire alternative possible ces temps ci, bien au contraire. Il l’avait soigné. Il l’avait soigné et il était rentré chez lui. Ni plus, ni moins. Pour découvrir qu’il n’en restait pas la moindre trace au petit matin, si ce n’est cette couverture, aux abonnés absents. Il ne sait pas comment il l’a reconnu. Peut-être ce petit quelque chose au fond de son regard. Peut-être cette façon qu’elle avait de le regarder mais il a comprit. Dès qu’elle a passé la porte, quelques jours plus tard. Un pauvre carlin se trémoussait entre ses bras, plus indisposé par la présence de la jeune femme que parce que qui l’amenait ici. – Bonjour. Elle était belle. Mircea remarquait ça. Il appréciait la justesse de la courbe d’une pommette, la grâce d’un port de tête. – Bonjour. Il lui répond, calmement. Il n’est pas calme Mircea, jamais. Mais il fait semblant. Tellement bien qu’il lui arrive de se demander s’il ne frôle pas l’apathie. Le silence s’installe, ils s’observent. – Je viens pour Rico. Elle brise finalement le silence, lui tendant la pauvre bête du bout des bras. S’il retient un sourire, c’est simplement pour ne pas la brusquer. Il y a quelque chose chez elle, une fragilité latente qui l’exhorte à bien se comporter. Il se lève sans geste brusque et attrape le chien qui se cale aussitôt entre ses bras, tremblant de peur. – Qu’est ce qui ne va pas ? D’un geste de la tête, il l’invite à l’accompagner en salle de consultation et la regarde fermer la porte derrière eux. Et cette porte, ce petit geste insignifiant signifiait bien plus. Elle avait hésité. Il l’avait vu, elle avait hésité mais elle avait fermé cette porte. Et quelque part, cela en avait ouvert une autre. Entre eux.

Sa peau, son odeur, ses mains sur son corps, tout. Tout l’assiège, le submerge. L’entendre murmurer son nom, prière muette, constater ses rougeurs, se complaire dans sa chaleur. Il se sent vivant. Pour la première fois depuis. Pour la première fois depuis Réa. Hadley coule contre lui, lave en fusion. Son corps n’est que chaleur, torpeur et plaisir. Un plaisir doux, de ceux qu’on ne croyait possible. Et dans un sursaut la libération. C’est dans ses yeux qu’il plonge, incapable de quoi que ce soit. – Réa. Il crie, aux affres de la passion. Il sent Hadley se raidir, alors qu’il n’ose la libérer ses mains fermement ancrées sur ses hanches. – Moi c’est. Qu’elle commence, fiévreusement avant de se retourner. Elle l’a senti. Elle la voit. Réa, sur le pas de la chambre. Ils se font face, trio improbable. Culpabilité, plaisir et fureur font rarement bon ménage. Mircea les voit à peine bouger et pourtant elles sont déjà parties. Dans le jardin, à en juger par la fenêtre brisée. Il s’y précipite, jurant en se coupant les pieds mais l’obscurité règne. Et lorsqu’il atteint le jardin, sa robe de chambre sur le dos il n’y a plus personne. Et c’est seul qu’il s’écroule à genoux, sur l’herbe fraiche. Réa, Hadley. Hadley, Réa. Il ne peut penser, ne peut réfléchir. Tout se mélange. Mais une pensée fugace s’accroche, tenace. Elle est revenue. Elle est revenue.