Orzak, Alabama. L'Amérique profonde, celle des immenses champs de coton et de l'industrialisation automobile. Celle là-bas qu'Elise a grandi, entourée de sa mère célibataire, de ses grands-parents, de ses oncles, de ses tantes et de leurs enfants. D'ailleurs, personne ne l'appelait Elise à cette époque. Elise, prénom français, fait référence à sa grand-mère maternelle, décédée avant sa naissance en Louisiane. Lorsque que sa mère tomba enceinte, elle était très jeune, dix-sept tout au plus. Son père partit quelques mois après sa naissance, encore trop jeune et immature pour comprendre ce qu'il faisait. C'est pourquoi, par respect pour Carrie, personne dans la famille Johnson n'appela la petite tête blonde par son prénom civil, et ils la baptisèrent tous Peaches, inspirés par ce fruit juteux et à la peau si douce qu'ils affectionnaient tant.

Son enfance se déroula sans heurts, profitant de la vie au sein de la ferme familiale, s'occupant des animaux et du potager, fraternisant avec ses cousins, réussissant à grandir sans réelle présence masculine, épaulée par ses oncles.
Petit à petit, en grandissant, elle remarqua que le regard des hommes sur elle avait changé. Ils devenaient plus serviables, plus aimables mais aussi parfois insistants et la mettant mal à l'aise. Rêvant d'aventures et de découvertes, elle continua sa scolarité, dissipée par ses envies d'ailleurs, jusqu'à tout quitter à l'âge de seize ans dès qu'elle décrocha son graal de l'époque, son passeport pour la liberté : le permis de conduire.

Sillonnant les routes, elle s'arrêta de ville en ville, de bar en bar, profitant de son indépendance nouvelle. Jeune, encore inexpérimentée et trop fragile d'une enfance sans père, elle se mit vite à faire les mauvais choix, brûlant la vie par les deux bouts. De rencontre en rencontre, elle fréquenta des hommes qui la firent grandir un peu trop vite, fascinés par cette beauté si pure, cette gamine si touchante. Un peu perdue, sans réels repères, elle continua son chemin, sans plan pour le lendemain. Finalement, ce désir qu'elle suscitait chez la gente masculine l'aidait plus qu'il ne la desservait. Il lui permettait de manger, de boire, de dormir à l'abri et de mettre de l'essence dans sa voiture. Il suffisait simplement de battre des cils, d'agiter ses hanches graciles, de passer une main dans sa chevelure blonde. La plupart du temps, une simple oeillade appuyée, un simple flirt lui valait quelques privilèges. Parfois, hélas, il en fallait un peu plus et elle donnait de sa personne, l'esprit déjà ailleurs, rêvant à d'autres horizons.

Et un jour, ce dont on lui avait parlé, ce qu'elle avait vu dans les films ou les séries absurdes dont ses tantes raffoler finit par lui tomber dessus, comme ça, sans crier gare. Elle s'était arrêtée dans une petite ville du nom de Twin Cover, appréciant l'ambiance chaleureuse et la proximité de l'Océan Atlantique qui venait lécher la plage de sable fin. Elle le vit au loin, transpercée par son regard azur et frappée par une beauté si pure, si simple. Le sourire qui se dessina sur ses lèvres, fut, pour une fois, authentique, provoqué par un méchanisme automatique qui lui avait échappé.
Comme une évidence, ils s'étaient trouvés. Sans parler, il semblait la comprendre, il l'apaisait de sa voix douce, la berçait de son accent ensoleillé et lui faisait oublier bien des peines. A deux, tout était plus simple. Souvent, elle essayait de lui prouver qu'elle était capable de prendre soin d'elle, comme une grande, mais il restait toujours là, à côté, prêt à la rattraper au moindre faux pas. La découverte, l'amitié, faisant place à un amour passionnel. Son premier vrai amour, celui dont tout le monde lui avait parlé. Celui dont elle rêvait, seule sur la route ou enlacée par des bras étrangers.
Si seulement le bonheur était fait pour durer...

Le premier jour du reste de sa vie. C'aurait du être une belle soirée, celle de leur départ, ensemble, main dans la main. Oui, Alessandro était destiné à être chasseur, elle voulait l'accompagner dans sa quête mais ils avaient envie de découvrir autre chose, des cieux plus tranquilles où vivre leur amour en paix. Seulement, chacun sait qu'il vaut mieux ne pas trop se projeter.
Elle l'attendait, frissonnant légèrement dans l'air du soir, quand elle entendit des pas derrière elle. A peine retournée, elle comprit que quelque chose clochait. Son pressentiment se confirma quand elle sentit deux pointes s'enfoncer dans la chair tendre de sa gorge, croquant à pleine dent dans sa veine jugulaire. Le reste, elle ne s'en souvient pas. Contrairement à ce que l'on dit, la mort ne nous apporte rien : ni souvenirs, ni lumière blanc, rien.
Quand elle se réveilla, attachée à de nombreux moniteurs, nue sous sa blouse bleue, elle comprit tout de suite. Elle n'aurait jamais du réussir à ouvrir les yeux de nouveau, elle aurait du s'éteindre pour ne plus se réveiller.

C'était il y a trois ans. Depuis, sa vie a complètement basculé. L'homme qu'elle aimait, celui qui la protégeait, s'est mis à la chasser, comme les créatures perfides qu'elle combattait elle aussi. Elle du apprendre à se contrôler, à se nourrir de sang, à éviter les nombreux ennemis que sa race avait, à se faire de nouveaux amis.
Devenue plus manipulatrice que jamais, elle utilise ses charmes à son compte, se nourrissant exclusivement d'hommes, prenant en quelque sorte sa revanche. Cachée derrière sa couverture de serveuse, elle essaye à présent de rester aussi discrète que possible, noyant ses rêves brisés dans le cou d'inconnu et évitant la haine nouvelle de son amant d'autrefois.