Avec le temps n'importe qui dirait être habitué. Seulement lorsqu'il s'agit de ce genre de chose, c'est tout le contraire. Avez-vous déjà essayé de vous habituer à la faim ? Pourriez-vous être habitué à cet élan monstrueux et sans regret qui vous saisie à chaque montée de pleine lune ? Bien sûr que non. La bête en moi était présente, tout le temps, elle dictait ses lois lorsque je la laissais s'exprimer et je n'ai toujours pas trouvé le moyen d'avoir un temps soit peu le contrôle de moi-même. Cette lune, cet astre traître qui vient faucher les âmes lupines sans une once de remord ou de douceur. Ça te prenais d'un coup, s’immisçant en toi, te rendant plus puissante. C’était grisant. Oui, il fallait l'avouer, j'aimais cette sensation. Le sentiment d'être plus forte, plus agile, capable de déraciner un arbre si l'envie t'en prenait, si jamais une proie se trouvait juste derrière.

Je me souviens de ma première pleine lune. De temps normal lorsque je dois tuer des créatures surnaturelles, je n'éprouve aucun plaisir. Mais cette nuit-là, je l'ai senti. J'ai senti l'instinct meurtrier, cette envie soudaine et incurable de sang, de chair, d'ôter la vie. La culpabilité ne m'a même pas effleuré et c'est le lendemain que je me suis rendue compte à quel point j'étais devenu dangereuse. J'aurais pu tuer n'importe quel être qui aurait pu croiser ma route même un humain tout à fait innocent.

La lune commençais à pointer le bout de son nez et je me sentais mal, j'avais besoin de marcher, de courir. Mes doigts tremblaient, puis bientôt mes mains. Je faisais les cent pas dans mon loft, essayant de me calmer. Mais ça ne servait à rien, ça empirais. Je montais, troquant mon jogging contre un jean, redescendais et claquais la porte. Ma tête me faisait mal, les rayons de la lune me brûlaient. Je fronçais les sourcils alors que je marchais vite, plus vite, toujours plus vite vers le seul endroit où j'étais sûre de ne croiser personne. J'arrivais à la lisière de la forêt et baissais mon regard vers mes mains. Mes ongles avaient fait places à des griffes courbés d'un jaune clair. J'imaginais la couleur d’un bleu froid comme l’acier de mes yeux alors que je semblais redécouvrir la forêt tel un terrain de jeu, un terrain de chasse. La bête, elle coulait dans mon sang, gonflait mes veines et mes désirs. Mes crocs claquaient alors que je franchissais, pieds nus, le seuil de la forêt. Je me mettais à courir. Courir pour ne pas trop réfléchir, courir en espérant ne croiser personne. Ne croiser aucune odeur.

hungry life the wolf

La tradition voulait qu'une meute passe la nuit de la pleine lune ensemble. Pourtant, Lenny marchait seul sur le bord de la route, la respiration calme bien que tous ses sens soient en alerte, bien que toutes les odeurs qu'il avalait à grandes goulées d'air fassent systématiquement tréssaillir toutes ses veines, bien que tous ses muscles se contractent à chaque nouveau pas qu'il faisait. C'était sa manière à lui de commencer une nouvelle nuit sous l'emprise des rayons de lumière blanche que la lune ronde laissait nonchalemment tomber sur lui et ses semblables. Il sentait pourtant chacun des membres de la meute comme une cellule de son propre organisme, le tout transitant par Stephen. Un sourire illumina le visage du garçon lorsque l'image mentale de son Alpha se forma dans son esprit. Ils étaient souvent en désaccord, mais l'homme restait la personne la plus importante dans sa vie. Il ne l'aurait jamais avoué, mais il l'aimait.
Leonard ferma les yeux un instant, profitant de l'instant présent, alors que le loup en lui prenait petit à petit la place majeure. Lorsqu'il les rouvrit, il aperçut une silhouette familière qui disparaissait à l'abri sur des arbres. Il fronça les sourcils : il ne pouvait pas laisser une humaine se déplacer dans la forêt cette nuit, alors qu'il avait parfaitement conscience des nombreuses créatures surnaturelles qui la parcouraient, avides de sang et de chair fraiche, contrôlées par la bête ou leurs instincts primaires. Il respira fortement afin de saisir le parfum de la demoiselle et une expression encore plus confuse dessina ses traits. Elle était louve. Il réfléchit un instant tout en se dirigeant à son tour dans les bois et en accélérant doucement l'allure. Il la connaissait, il l'avait déjà croisée. Il cherchait un visage à apposer sur cette silhouette, ces longs cheveux qui virevoltaient de part et d'autres d'épaules carrées et fines, et surtout à cette odeur de jeune garou. Pourquoi était-elle seule, pourquoi avait-elle l'air de fuir un démon invisible, pourquoi émanait-il d'elle un léger soupçon de peur au cœur de l'ivresse d'une nuit de pleine lune ? Tout en réfléchissant, l'Américain se mit à courir en suivant les indices laissés par la jeune femme. Dans sa course, il laissa son visage se transformer face à l'astre nocturne qui brillait entre les branches. Un grondement lui échappa mais il se retint d'hurler pour appeler Stephen et Riley. Et le petit nouveau, Gabriel. De toute façon, ils devaient tous être occupés à canaliser ce dernier, et ils lui avaient suffisamment fait comprendre qu'ils n'avaient pas besoin de lui, en particulier Riley qui semblait prendre un malin plaisir à jouer avec ses nerfs.
Secouant la tête, il chassa sa meute de ses esprits pour se concentrer sur l'inconnue. Il se rapprochait d'elle, son odeur se faisait plus forte. Bientôt, Lenny entendit le craquement de brindilles sous son pas léger. Il grimpa rapidement le long du tronc d'un arbre et un rapide coup d'oeil lui permit de repérer la chevelure brune qui volait autour du corps fluet de la louve. Il prit un peu d'élan et sauta aussi loin qu'il le pouvait. Il atterrit à un mètre devant la jeune fille et posa son regard bleu sur elle. Il l'avait effectivement déjà croisée, il y a une ou deux lunes peut-être. La mémoire temporelle du garçon n'était pas d'une qualité optimale, l'empêchant d'être plus précis. Immobile, il guettait sa réaction.