Nous faisons désormais partit de la même famille

Les coudes sur mes genoux, mes mains formant un seul et même poing, mon menton sur ces dernières, cela faisait une bonne dizaine de minutes que je n'avais pas bougé d'un pouce. Je restais là, à observer cette chaise roulante qui trônait au milieu de mon salon depuis le début de la matinée. Le fait est que j'étais retombé dessus en fouillant le garage, histoire de trouver des outils pour démonter certains meubles. Je prévoyais de refaire l'intérieur de mon domicile dans le but de m'y sentir plus à l'aise, plus chez moi si vous voyez ce que je veux dire. Non, parce que c'est bien beau les meubles achetés avec la maison, mais quand c'est vraiment pas le genre de meuble qui ne te fait pas regretter l'argent mis dedans, ça vaux juste pas la peine du tout. Alors autant ôter le maximum en attendant de pouvoir réinvestir dans d'autres objets de mobilier et ainsi faire de cette endroit ma tanière, mon antre, ma résidence. Un lieu où je serais tranquille et serein. Une demeure où je pourrais me reposer et être à l'abri. J'avais cessé d'ignorer ou de me leurrer sur les dangers dehors. Les rues de Twin Cover étaient pleines de personnes peux communes. Eleonor et Nathan en étaient de bons exemples. Un professeur d'histoire se retrouvait être une créature de la nuit, le genre de monstre dont on lit des livres de fiction et des adaptation cinématographique mielleuse. Mais jamais je n'aurais pu croire que les gens comme lui, les vampires, puissent exister. Aujourd'hui, cela me parait si normal d'en parler alors que lors de ma découverte, lors de sa révélation, j'ai bien mis plusieurs semaines avant de ne réaliser, avant de n'accepter l'immonde vérité. Le monde dans lequel nous vivions n'était pas beau, il n'était pas rempli d'ours en peluches, mais d'ombres et de créatures dont on ne pensait entendre parler qu'à travers livres et oeuvres de fiction. Malgré ce que vous pouvez penser, j'étais heureux que ce ne soit pas le cas. J'ignorais encore réellement ce qui m'était arrivé ce fameux soir il y a de cela quatre mois. Mais ce que je savais, c'était que je ne le regrettais pour rien au monde. Grâce à cette morsure j'ai pu me lever, marcher, courir, j'ai pu recommencer à vivre. J'ignorais qui était le loup, l'alpha, qui m'avait offert la morsure et j'ignorais si j'allais le savoir un jour. Je ne savais pas comment je réagirais. Grâce à ma rencontre récente avec Riley, j'en savais désormais un peu plus sur moi-même, sur ma condition de loup-garou. Mais je ne pouvais m'empêcher de penser à la personne m'ayant mordu. Pourquoi ne se manifestait-elle pas ? L'avais-je déçue ? N'étais-je pas la personne qu'elle ou il attendait ? Peut-être même n'est-il plus sur ce continent. Mort, qui sait ?

J'interrompis le fil de mes pensées lorsque ma main vint toquer contre le carreau de la porte de la boutique d'Antiquité de Twin Cover. J'étais sensé y retrouver Stephen Gregg, un homme que j'avais rencontré en arrivant en ville. Il m'avait connu en fauteuil et ne m'avait pas jugé. Après mûres réflexion, il était surement le seul à ne pas me regarder comme un malade, à ne pas froncer les sourcils lorsque j'avais du mal à monter sur certains trottoirs avec mon fauteuil, à feindre de ne pas voir lorsque je faisais une boulette. Non, il me regardait comme un homme. Un homme blessé, certes, mais un homme avant tout. Et je l'en avais été extrêmement reconnaissant. Cependant depuis quelques temps j'avais cessé d'avoir des nouvelles, mais les choses évoluaient tellement vite dans ma vie que je n'y avais pas accordé une grande importance. Aurais-je dû ? En tout les cas, la silhouette de l'homme apparu derrière la porte, il m'ouvrit et je pénétrais dans l'antre du gérant. "Bonjour Stephen." lui répondis-je en lui adressant un sourire franc. Je réalisais soudainement qu'il ne m'avait jamais posé une quelconque question sur le pourquoi du comment je m'étais du jour au lendemain remis sur mes pieds. Comment avais-je fait pour récupérer ma vision de mon oeil mort ? Un oeil qui était supposé ne jamais fonctionner à nouveau. Je fronçais légèrement les sourcils à cette pensée. C'est vrai ça, pourquoi avait-il coupé les ponts ? Pourquoi avais-je soudainement cessé d'avoir de ses nouvelles ? Comme s'il s'était subitement envolé. "Non, je te remercie." dis-je en levant les mains pour accentuer mon refus. En réalité, ma gorge était aussi sèche que les plus profonds canyon d'Amérique, mais elle était bien trop noué pour accepter une quelconque boisson. En fait, j'étais nerveux. J'ignorais le pourquoi de ma venue et certaines questions demeuraient sans réponse.

"Je voulais te voir pour te parler de ce qui s’est passé il y a quelques semaines de cela. Tu as été mordu par un loup et je voulais savoir si tu avais des informations à ce sujet ?" je me figeais face à Stephen comme si un courant d'air gelé venait de s'incruster dans ma colonne vertébrale. Ce fut à ce moment-là que son odeur me frappa, que son attitude sembla s'éclairer. Je reconnaissais en lui ce goût de Riley au fond du palet. Cette bestialité dans le souffle et les muscles, ce regard transperçant de l'animal sauvage retenu dans un corps d'homme. Un loup-garou. Stephen était un loup-garou ! Il était...comme moi ? Je fis un pas en arrière, troublé. L'aura lupine émanait de lui avec une force qui m'aurait fait suffoqué en d'autre circonstances. Elle m'apaisait autant qu'elle me troublait, qu'elle me questionnait. Mais qu'était-il bon sang ? "Toi aussi...Po...Pourquoi ?" réussis-je à articuler alors que mon esprit s'embrouillait, que mon sang se mit à bouillir. J'étais en colère, surpris et...et j'avais peur. En colère car il m'avait caché sa condition, parce que j'avais été tout seul face à cette bête en moi et qu'à cause de cela j'avais mis fin aux jours de ma soeur. Surpris, parce que Stephen n'avais jamais laissé échapper le moindre indice, rien. La peur, elle, elle venait de la bête, je le sentais, il aurait pu me déchirer en deux comme si je n'avais été qu'un cure-dent. J'ignorais ce que je voulais entendre, j'ignorais ce qu'il allait me répondre. Peut-être ne voulais-je rien entendre du tout.

Nous faisons désormais partit de la même famille

J'avais du mal à réaliser ce qui était en train de se passer. Cela faisait des mois que j'avais cessé d'essayer de trouver une logique à tout cela. J'avais été lancé dans un monde dont j'aurais voulu ne rien connaitre. Un monde qui m'avait tant donné, mais également tellement pris. La morsure m'avait donné naissance comme elle avait enterré ce qui avait pu me rester de famille. Était-ce le prix à payer ? Rayer de la carte les derniers membres partageant le même sang que toi pour finalement pouvoir reprendre une vie normale et qui pourtant ne le sera jamais plus ? J'ignorais ce qu'aurait été ma décision si j'avais eu le choix. J'aurais pu refuser, tout comme j'aurais pu me jeter sur l'occasion sans une once de remords. Je n'étais pas quelqu'un de bien, mes pensées n'étaient pas tournés exclusivement vers les autres avant mes propres besoins et envies. Ça n'avait jamais été le cas. Il n'était pas rare que les gens se trompent sur moi, qu'ils pensent avoir affaire à un jeune homme généreux et aimable qui n'aurait pour rien au monde un quelconque lien avec le moindre soupçon de cruauté ou d'égoïsme. Quelqu'un à qui l'ont aurait donné le bon dieu sans confessions. Mais ils se fourvoyaient. Mon attitude les trompait. Je n'arborais pas ce sourire que l'on attribue aux salauds. J'avais un langage courtois. J'étais poli et de bonne humeur. Mais cela ne m'empêchait en rien d'être égoïste et d'aimer manipuler les autres à ma guise. Mon bonheur était tout ce qui comptait pour moi et les gens l'oubliait au profit de mon attitude de bon p'tit gars. J'en jouais, beaucoup, peut-être trop, mais jusqu'à présent personne ne m'avait jamais empêché de le faire, alors je continuais.

Je le suis depuis ma naissance. Je viens d’une famille de loup, qui s’étant sur plusieurs générations j'essayais de puiser en moi assez de souffle pour ne pas suffoquer, pour ne pas perdre pied. Naissance. Famille de loup. Plusieurs générations. Mon cerveau tentait d'assimiler tant bien que mal ce qu'il entendait, ce que Stephen me disait. Il existait donc des gens qui naisse ainsi ? Comment est-ce possible ? Trop de questions se bousculaient, s'entrechoquaient dans ma tête et mon coeur. J'ignorais si je voulais faire partie de ce monde, si j'avais les épaules pour. Rien ne distinguait un loup-garou d'un homme lambda, absolument rien. A qui faire confiance ? La boulangère pourrait tout aussi bien être une sirène enfanté par un sphinx mexicain que plus rien ne m'étonnerait plus ! Pourquoi ne pas en avoir parlé avant ? Pourquoi ressens-tu cette sensation au fond de toi face à moi ?" la surprise laissa la place à l'horreur, la frayeur. Il avait raison, il avait raison et ça me tétanisait. Parce que face à lui je me sentais complet, enfin réuni et que c'était trop improbable et gênant pour que je ne puisse l'accepter. Il y avait cette chaleur, cette boule au creux de mon ventre qui détruisait tout sur son passage pour apaiser mon coeur battant la chamade, à deux doigts de s'extirper de ma cage thoracique pour aller voir par lui-même la raison de mon affolement. Mes pupilles étaient coincés dans celles de l'homme face à moi et je cru défaillir lorsque les yeux de ce dernier se tintèrent d'une lueur rouge sang qui planta en moi la lame de la possession. C'était lui. Mes épaules s'affaissèrent alors que je me sentis vidé face à ce géant, face à cette bête qui avait enfanté l'être que j'étais maintenant.

Que veux-tu savoir exactement ? je fus pris de court. Que voulais-je savoir ? Tout. J'aurais voulu qu'il m'explique ce que j'ignorais, qu'il se comporte comme le créateur qu'il était. Y en avait-il d'autres comme moi ? Est-ce qu'il en avait mordu d'autres ? Qui étaient-ils ? "Apprends moi..." murmurais-je comme une dernière supplique face au bourreau.