le poids de ton destin. un destin nullement choisi, nullement envisagé. les tréfonds des premiers pas de ta vie te paraissent loin, si loin. d'une faiblesse à chaque siècle un peu plus prononcée, d'un flou brumeux qui t'arrache la vue. tes repères, tu les as perdu, et ce depuis longtemps. toi, la plus jeune, toi, la plus douce. tu foules le monde de ton pas léger depuis moins longtemps que tes deux frères adoptifs, et pourtant les souvenirs te manquent. ils sont tellement nombreux à se pousser, là, en haut, que tu en perds le fil. tu ignores si celui-ci est réel, ou juste éphémère. si celui-là n'est pas arrivé dans une autre vie, n'importe laquelle, mais pas la tienne. et si l'autre, le plus doux, le plus tendre, n'est pas le fruit de ton imagination. les jours, tu les as vu passer, ils sont comme des secondes dans ta vie sans fin et sans faille. tu les as vu se succéder, les saisons, les générations, la vie en elle-même. t'y as assisté, puissante et impuissante face à l'auto-destruction innée de la race humaine. et plus dérangeant encore, face à cette fascination sans cesse grandissante du surnaturel. tu n'as jamais compris comment les humains pouvaient se plaire dans des histoires à l'eau de rose avec des vampires, des loup-garous, des sorcières. leur imagination est sans limite, et c'est probablement ça en fin de compte qui te fascine tant chez eux. leur faculté à tirer du bien d'un mal absolu. mais le contraire est également possible avec eux, tirer du mal d'un bien absolu. controversés, assez difficile à comprendre, et totalement décalés. c'est ainsi que tu voyais les humains, et ce depuis la nuit des temps. mais malgré ces zones d'ombre que tu n'as jamais réussi à éclaircir, tu les portes dans ton coeur. eux, ces frêles vies qu'un souffle peut balayer, sans prévenir. eux, cette banalité malgré toi attirante, ce quotidien qui rythme leurs jours. et tu soupires. soupires face à la douceur de ta vie, face au privilège de faire parti des trois. tu souries sous les légendes et rumeurs qui courent à votre propos, t’esclaffant sous les idées plus farfelues les unes que les autres. ils ne sortent que pendant les solstices, ça augmente leurs pouvoirs. ils se nourrissent de cervelles de nouveaux nés, ça les purifie. ils dévorent leurs amants, pour les garder en eux à jamais. et t'en passais des vertes et des pas mûres. personnellement, les cervelles de nourrissons n'étaient pas tes préférées. tu avais un penchant pour les cervelles de vierges amoureuses, mais seulement lors du solstice d'hiver, au moment où elles sont le plus vulnérables. et tu ries. ries de tes propres bêtises, ries de bon coeur. un rien égaie ta journée, un tout allège ton coeur du poids des responsabilités. telle est ta nature, telle est ta personnalité. tu t'émerveilles face à la force de la nature, face à une mère qui donne la vie. tu t'émerveilles face au nouveau-né qui lutte dès son premier souffle, face à cette force emprisonnée dans un corps aussi frêle. tu t'émerveilles d'un rien, d'un tout. surtout d'un tout.


tu soulèves ta longue et lourde robe drapée de tissus fins et délicats. la brise est douce, la nuit abandonne peu à peu son revêtement bleuté, c'est une belle journée qui prépare son entrée. tu ignores où sont james et tyler, et pour l'occasion, leur absence t'enchante. tu t'apprêtes, te presses à grimper cette rude pente de la colline car au bout, le délice. un lever de soleil comme tu les aimes, une aube frêle et d'une beauté unique. tu ne raterais cet instant pour rien au monde. tu ne saurais pas même dire si le déséquilibre du monde te ferait louper un tel spectacle. essoufflée, le corps brillant de fines perles d'effort, tu atteins le sommet. la délivrance, la récompense. autour de toi les lumières s'amorcent, le chant des oiseaux entame sa longue symphonie. une journée de plus. un renouveau, comme une naissance. tu prends appuie sur ce pommier qui accueille ta venue à chaque heure tardive de la nuit, les yeux brillant, les lèvres ouvertes. et ce coeur qui n'en finit plus de battre contre ta poitrine saccadée. puis, le mirage. les premiers rayons du soleil qui filtrent l'obscurité persistante, la première chaleur de la journée. la lumière t'aveugle mais tu ne veux pas fermer les yeux, tu ne veux pas en perdre une seule miette. sous ton émerveillement d'enfant, tu sens la nature prendre vie. tu sens le moindre souffle que cet organe vital insuffle au monde, l'espoir qu'il fait naître. et l'heure se passe, admirative, immobile, insouciante du temps qui s'écoule, tu n'en as que trop à revendre. quand soudain, une voix. mademoiselle? ton index s'impose entre lui et toi, comme une barrière, un avertissement, une invitation au silence. tes yeux se ferment, tes poumons s'emplissent de la pureté de l'air. puis tu souries, satisfaite, reconstruite. ton regard se pose alors sur le nouveau venu, vêtu à la dernière mode de paris du temps du roi soleil. monsieur le duc. ton corps délicat s'incline en une gracieuse révérence avant de t'avancer vers cet homme qui est ton ami. ton ami malgré vos vies, ton ami malgré tout. vous êtes d'une grande beauté aujourd'hui. flatteur, allez conter fleurettes aux dames de la reine, elles les accepteront volontiers. pas vous? vous me connaissez, je suis bien trop réservée. et tu t'élances dans la courbe de la pente de la colline, l’œil rieur, le sourire étirant tes lèvres. t'es heureuse, t'es joyeuse, ta vie n'aurait pu être meilleure.

tu te régales de ces petites douceurs appelées "chocolat". petites formes étranges à la couleur peu flatteuse qui, pourtant, illuminent tes papilles. un éventail faisant voler tes belles boucles brunes, allongée sur un canapé parsemée de coussins aux broderies d'or, tu t'enivres. te régales de ce privilège, de cette passion. tu n'as pour seule compagnie que les plus douces des délices, tentations. permettez-vous que je vous parle en toute franchise? ton ami, lui, toujours, ce même homme qui te courtise à longueur de journée, qui se démène pour assouvir le moindre de ses désirs. je vous en prie, faites mon ami. il prend une inspiration, une grande, puis d'autres. ton âge a beau présenter plusieurs chiffres, tu es novice dans le domaine. novice dans l'art de reconnaître un homme qui aime une femme. qui l'aime d'amour. tu n'en connais ni les gestes, ni l'odeur, et ce n'est que par pure innocence que tu le laisses souffrir dans sa maladresse. madame, vous me tourmentez de votre silence! tes yeux d'enfant pris en faute se posent avec étonnement sur ce visage déjà usé par le temps. pardonnez-moi si j'ai pu faire ou dire quoique ce soit qui vous ai fait souffrir. son genoux plie à terre tandis qu'il se saisit de ta main, avec précaution, avec délice, comme on se saisit d'une œuvre de porcelaine. vous n'êtes encore qu'une enfant, vous n'y entendez rien. et tu le regardes, encore, toujours, attendant le dénouement de tant de formalités. mon coeur souffre de tendresse pour vous. si vous m'y autorisez, je mettrais mon âme et le reste de mes jours à votre service. et là, tu comprends, saisis ton erreur de jeunesse. ton coeur se serre, un grand froid envahit le moindre de tes muscles. ça ne peut pas arriver. pas lui. comment lui expliquer que si une telle chose venait à s'ébruiter, ce serait sa tête et non son honneur qu'il y perdrait? tu trembles, légèrement, discrètement, suffisamment pour resserrer le châle autour de tes épaules. je vous en prie relevez-vous, vous me gênez. tu te relèves en lui sommant de faire de même. toute légèreté s'est envolée, tu ne vois que le poids des conséquences. son amour est sincère, mais toi? où est ta place dans tout ce bric à brac? là encore ton innocence te voile la raison. il n'est qu'un ami, rien de plus. et tu ignores, mets en sourdine les battements révoltés de ton coeur, restes sourde à sa complainte. l'homme face à toi attend, espère, trépigne, se meurt. ta poitrine a un sursaut tandis que ta main glisse de la sienne, pour ne jamais y revenir. je suis navrée. c'est impossible. et tu t'enfuis. lâchement, comme une enfant, mais tu t'enfuis. loin de toutes ces tentations, loin de ce futur que tu ne pourras jamais avoir. tu t'enfuis.

on part pour twin cover. nulle question, nulle hésitation, la destination paraissait simple et inévitable. l'obscurité grandissait en ce lieu, une obscurité qui nuisait au bon fonctionnement du monde. de l'équilibre, cet éternel équilibre. celui pour lequel tu te bats, tu donnes ta vie. tes milliers de vies. et si certains pourraient prétendre que tu es lasse, fatiguée, vidée de tes forces, qu'ils aillent rôtir en enfer. jamais tu ne te sentais plus entière, plus vivante que lorsque tu te vouais corps et âme à ta cause. votre cause. et tu parcours une fois de plus les quelques lignes du journal du jour relatant les étranges événements de cette petite contrée. tu fais la moue, tu sais ce que cela signifie. tu sais que du surnaturel n'attire qu'encore plus de surnaturel. et que ce genre d'événements n'attire pas les bonnes créatures, ni les âmes pures. du travail, il risquait d'y avoir à revendre, vous n'étiez pas prêt de quitter cette douce ville. qu'à cela ne tienne, tu es friande de nouveautés, de changement. james mettrait cela sur le compte de la jeunesse, mais tu parierais plus sur ce que tu es présent dans le coeur de chacun. tu es faite pour découvrir, inhaler, t'enivrer de nouvelles choses. tu es faites pour découvrir, faire grandir, adoucir les mauvais esprits. ta présence même calme les conflits, apaise les cœurs. le monde t'a conçue ainsi, et c'est ainsi que tu demeureras. toi.

vêtue d'une légère robe en toile d'un gris cendré, les genoux ramenés vers ton corps, tu attends. attends, comme chaque matin, de cette même attente qui fait partie intégrante de ta vie. ce rituel vaudou, ce sacrifice de temps pour cette même cause, l'aube. tu n'en finis pas, et n'en finiras sans doute jamais de trembler d'extase pour ce phénomène naturel. tu es rêveuse, envieuse, gourmande de garder les yeux fixés sur le soleil naissant jusqu'à la fin de tes jours. bonjour. ton index s'oppose à cette intrusion, comme une prière de silence, encore un instant, un bref instant. tes yeux se voilent, tes poumons se gonflent, te voilà fin prête. pardon, c'est un rituel pour moi. et alors tes yeux se posent sur le nouveau venu. ton coeur manque d'exploser en mille morceaux. cette voix, cette situation, ces mêmes gestes. tes pensées remontent à des siècles du présent, ne s'arrêtant qu'à l'époque du roi soleil. car c'est là que tu as déjà rencontré cet homme une première fois. c'est à cette époque que tu l'as connu, lui, le duc. et c'est au XXI siècle qu'il refait surface. son sosie le plus parfait, le plus cruel. est-ce que tout va bien? vous êtes blanche comme un linge. remets toi ma fille. tu secoues ta tête comme pour te réveiller, t'excusant d'un pâle sourire. si le destin ne savait pas comment te faire payer ta fuite ancestrale, il venait d'en trouver la solution sous sa forme la plus vicieuse. un sosie. rien n'avait changé, et dieu seul savait si tu avais préservé son visage intact dans ta mémoire. ce n'est rien, c'est juste que vous me rappelez quelqu'un. un ami. et le sourire qu'il t'adresse à cet instant précis te transperce le coeur, laisse une brûlure de cigarette dans ton âme si pure. et là, tu comprends. tu comprends enfin le mécanisme, le risque multiplié par un million. tu comprends la tentation de l'abandon dans la passion. tu comprends à quel point il est difficile de résister à l'appel du coeur.