Ce goût. Cette odeur ferreuse qu'il aimait tant et dont il avait été privé depuis bien des années. Pour la première fois après deux cent ans de sommeil profond, il y goûtait de nouveau. Le sang. Quelques gouttes seulement suffirent à le tirer de sa torpeur mais ne le nourrirent pas suffisamment pour lui rendre toute sa force. Il peina a sortir de sa prison, chacun de ses muscles encore engourdis et partiellement figés lui infligeaient une douleur monstrueuse. Les traits de son visage déformés par ces siècles de mutisme accentuaient la couleur grisâtre de sa peau rongée par la poussière et l’assèchement de ses veines. A mesure qu'il tentait de bouger, sa respiration s'intensifiait, laissant de nouveau de l'air entrer dans ses poumons. Désorienté, il regarda autour de lui, histoire de trouver une quelconque explication. Dans sa quête, il vérifia la bague ensorcelée à sa main droite le protégeant contre le pouvoir du soleil. Par chance elle était toujours là. Un filet de lumière s'infiltrait directement dans le caveau, ce qui attira immédiatement l'attention du vampire. Rassemblant le peu de force qu'il possédait, Skëggi s'aventura à l'extérieur. A peine rencontra-t-il les rayons de la sphère que déjà ses yeux le brûlèrent tandis que sa chaleur enivrante imprégnait l'ensemble de son corps meurtri. Il plaça une main au dessus de son front pour se protéger de l'éclat des faisceaux et commença à avancer. Il erra ainsi durant plusieurs minutes avant de tomber sur un pauvre lapin qui n'aurait pas dû croiser son chemin. Il ne s'était jamais nourri d'animaux mais cette fois-ci était un cas de force majeure. Il déchiqueta le pauvre animal, laissant une partie de son sang inondé la chemise jadis blanche de sa redingote. D'ailleurs le reste de ses vêtements étaient sales et souillé par le temps. Il poursuivit son chemin durant quelques temps encore avant de sentir la présence d'une autre personne dans ses bois qu'il pensait déserts. Il ignorait complètement où il se trouvait sauf qu'à cet instant précis il n'en avait absolument rien à faire. Une seule chose l'empêcher de vaciller : la sensation de faim grondante au fin fond de son estomac. Elle était d'une puissance redoutable contrairement au reste de son être qui, lui, peinait à rester debout. Il suivit alors la piste de la promesse d'un futur repas bien plus appétissant que le rongeur de tout à l'heure. L'immortel escalada un petit talus de terre avant de voir enfin ce qui l'intéressait tant. Sans plus attendre il s'avança vers cet homme dont il savourait déjà l'instant où il pourrait le vider de son sang. Approchant de lui tel un zombie, Skëggi laissa apparaître ses canines aiguisées et sans plus attendre se jeta sur le quadragénaire. En temps normal, le russe aurait réfléchi avant d'agir au vu de sa situation et de son manque évident de force. Toutefois de par les circonstances, son sens de la réflexion était au plus bas. Manque de chance pour lui car il fut rapidement mis ko par cet homme qui était en fait un loup-garou. Du moins c'est ce qu'il crut remarquer avant de se réveiller dans une pièce, ligoté au niveau des chevilles et des poignets avec l'horrible sensation que de la lave en fusion se propageait dans chacune des fibres de son corps. Il reconnu cette douleur aussitôt : de la verveine. Prisonnier de ces liens et sa propre faiblesse vampire, Skëggi parvenait à peine à se mouvoir. Il voulut parler cependant c'était sans compter sur le scotch autour de sa bouche. C'est donc le regard bouffi et hagard qu'il jaugea les lieux. Tout lui paraissait si différent au vu des objets traînant un peu partout autour de lui ; mais il n'eut pas le temps d'y réfléchir davantage que déjà son geôlier se pencha vers lui pour lui enlever son bâillon. « Je vais retirer le scotch que tu as sur la bouche pour que tu répondes à mes questions. Ne tentes rien d’inconscient, quoi qu’avec la verveine, tu ne puisses pas faire grand-chose ». Skëggi serra les dents suite à ces paroles. Entre la faim et la colère qui l'animaient à cet instant précis, il n'avait envie que d'une chose : lui arracher littéralement la tête. Bloqué dans le canapé, il ne put que se laisser faire. « Qu’est-ce que tu faisais dans les bois et qu’est-ce qui s’est passé pour que tu sois aussi faible ? ». Son regard plongea dans celui du lycan et une lueur de haine s'y dessina. S'il y a bien une chose que détester le vampire, c'était de paraître faible aux yeux des autres. La tête branlante, il était vraiment dans un sale état. Décidé à garder le peu de dignité qu'il lui restait, Skëggi refusa de répondre à ses questions et détourna la conversation. « Un lycan.. j'aurais dû  m'en douter.. Où est-ce que je suis ? », laissa-t-il alors échapper au travers de ses lèvres asséchées et gercées, le tout d'une voix légèrement cassée. « En quelle année sommes nous ? ». Il paraissait si inoffensif de la sorte et pourtant son regard de tueur restait immuable sur son visage.